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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/334

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tendresse unique. L’Anneau de Nibelung apporte enfin la sérénité, car il apporte le vrai. La puissance sociale qu’il décrit, se fonde sur les pactes anciens et sur la force. Mais elle appelle elle-même la venue de l’homme libre, elle relèvera en secret, lui forgera d’invincibles armes et, pour finir, engagera contre lui, avec une mélancolique joie, le combat où elle sait qu’elle va périr.

Pas de poésie plus détachée de toute religion. Wagner annonce vraiment le « crépuscule » de tous les dieux. Son intelligence dégagée plane au-dessus d’eux. Sa pensée, concrète et ingénue comme celle des jeunes races, s’éclaire pourtant de la philosophie la plus haute et la plus récente. C’est pourquoi sa poésie est une poésie de la mort. Être préparée à la mort et vouloir la mort s’il peut en résulter le salut des autres âmes, c’est le point le plus haut où puisse atteindre, par la discipline de soi et la clarté intérieure, une conscience pensante. Une mort réfléchie et voulue, mais qui serait un évangile d’amour, voilà ce que Wagner glorifie en Wotan ; les attitudes héroïques du drame wagnérien symbolisent une métaphysique empédocléenne, comme la musique wagnérienne elle-même.

Ces analyses apportaient sur la pensée et l’ambition de Wagner la vérité définitive. Aucune interprétation de l’œuvre de Bayreuth n’a pu, depuis, s’en passer. Elles sont des merveilles d’intelligence ; et seule une sympathie désespérée de s’éteindre a pu, en projetant ses derniers feux, éclairer les drames wagnériens à de telles profondeurs. Le langage aussi que parlent ces héros, personne n’en a mieux senti que Nietzsche la force lyrique. La musique wagnérienne hypnotise en nous l’intime vouloir. Ses mythes imagés magnétisent le cœur et nous inspirent une gesticulation imitative. Son langage nouveau fascinera enfin la conscience intellectuelle.

Quand toutes nos langues modernes sont corrompues