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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/355

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l’Homme-Dieu, du prêtre thaumaturge et persécuteur, qui scrute les consciences et exige qu’elles se donnent à lui. On a pu dire qu’en Grèce, dans ce moment divin de la religion olympienne, pour la première fois, « la religion cessa d’être un danger mortel pour l’humanité[1] ».

Nietzsche a eu la forte préoccupation de la Réforme panhellénique. Cette mythologie, qu’il accuse d’y avoir résisté, y a contribué aussi. Les dieux impurs et jaloux des infimes tribus, les migrations grecques les avaient dépossédés. Les tribus dispersées et brisées s’étaient fondues dans de grandes cités. Comme entre leurs dieux il y avait bien des analogies, et que des noms différents cachaient des divinités semblables, ces dieux pouvaient se confondre. Quelques grandes figures lumineuses se sont ainsi dégagées de la foule, Zeus, Apollon, Arès, Dionysos, Héra, Cypris, Athéna. Ce ne furent plus des dieux attachés à d’obscurs sanctuaires. Chaque cité avait besoin de son dieu protecteur, son ancêtre vrai ou présumé. On prit ces étincelants dieux nouveaux, enrichis des dépouilles et de tous les pouvoirs magiques qui leur venaient des dieux dépossédés. Ils étaient tout prêts à devenir patrons des cités (πολιοῠχοι), défenseurs de la Grèce entière (Ἐλλανιϰοἰ). Jamais, pour arriver à la concorde grecque, effort plus grand ne fut tenté que par la religion hellénique unifiée des dieux olympiens.

L’aspect nouveau que prit le monde lorsque les hommes le crurent gouverné, non plus par des serpents souterrains, par des gorgones et par des Titans, mais par des puissances de tranquille splendeur, prouve une fois de plus que le réel se transforme par l’évaluation qu’on en fait. Les valeurs posées par les hommes sur les choses y entrent peu à peu pour en modifier la substance. La

  1. Gilbert Murray, Four stages of greek Religion, p. 95.