Ainsi les plus lumineuses formes des dieux grecs
sont ourlées d’une frange d’obscurité, et la vie ressuscitée
frissonne encore des ténèbres dont elle sort. Alors
même qu’ils sont les dieux de la foudre ou du soleil, de
la mer glauque ou de l’aurore, le mythe des dieux dit
encore leur lutte contre les puissances obscures. On se
fait d’eux ainsi une image teintée d’ombres qui ne peuvent
tout à fait s’évanouir. Ils restent de grandes allégories,
qui ne se résolvent pas tout à fait en idées claires. C’est
peu à peu que la pensée, dégagée, laisse son vêtement
de mythe aux mains des poètes et des statuaires. Elle
s’épure dans Pindare et dans Eschyle. Un pas de plus,
et, revêtue d’allégories encore, elle s’appellera le Bien
de Platon, la Tyché d’Épicure, l’Heimarméné de Cléanthe.
Or, Nietzsche n’avait-il pas vu que la sérénité grecque
s’est achevée dans la philosophie ?
C’est pourquoi l’origine de la philosophie a été son second problème. Il est né de ce qu’il restait dans la pensée des Grecs une dernière impureté, et dans leur atmosphère un dernier fantôme errant. Il y avait l’erreur sur les causes, sur la fin, sur le pourquoi et sur le comment. Il y avait les idoles de la fausse pensée après celles de la superstition religieuse. Il ne suffisait pas de poser sur le monde l’idéal d’un ordre humain et juste. Il fallait montrer comment cet ordre pouvait s’insérer dans le réel, le diriger, le justifier ; et ce réel, il fallait donc d’abord le comprendre.
La science moderne a inventé et usé tant d’algorithmes, elle a renouvelé tant de fois le langage dans lequel elle traduit ses notions fondamentales sur les réalités phy-