Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/362

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ordre rationnel, une vérité, sans le pétrifier ? Comment ne pas briser toutes les normes, à l’exemple des sophistes ? Et quel moyen, inversement, de ne pas retomber dans le funeste paralogisme idéaliste qui, depuis Platon, pèse sur la pensée « comme une malédiction » ?

C’est le tourment qui accompagnera Nietzsche toute sa vie. Il l’apaise en lui comme un romantique. Ce que Savigny avait essayé pour le droit, en découvrir la pensée traditionnelle antérieure à toute rédaction écrite, Nietzsche l’essaie pour la philosophie grecque. Si l’intellectualisme est une corruption, on ne peut s’y dérober qu’en remontant plus haut que la formation même des concepts. Le postulat romantique, c’est que nos aïeux, malgré leur réflexion moins avertie, avaient un sentiment plus vif des réalités vitales. Nietzsche croit la pensée et la science contemporaine encombrée de notions morcelées et de notions mortes. Ce sont des clefs qui ouvrent peut-être quelques portes basses du réel, elles n’ouvrent aucun horizon sur la vie. Cette fatalité est inhérente, pense Nietzsche, à tous les procédés discursifs et logiques. Il faut apercevoir le réel, non par une desséchante analyse, mais par une vie intérieure de l’esprit qui le recrée en lui intuitivement. Le secret de cette grande façon de penser, qui nous émancipe de la coutume populaire, sans nous égarer dans le dédale stérile de la sophistique, c’est de remonter aux primitifs. Ils ont été des constructeurs. Ils savaient légiférer pour l’esprit et pour la cité, parce qu’une pensée inventive vivait en eux, et non pas une destructive analyse.

La revendication de Nietzsche consiste à maintenir les droits de la pensée métaphysique, capable de régénérer la science, sans entrer en collision avec elle et en se nourrissant d’elle. Il appartient à la science d’établir, par analyse et par synthèse, les vérités partielles qui se