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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/364

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ne pourra jamais suppléer la philosophie. Car la philosophie doit créer l’unité de la vie humaine, et la science ne garantit que la solidité de connaissances peut-être disjointes. L’unité de style réalisée dans toute la vie humaine, individuelle et collective, c’est ce que Nietzsche, le premier, a appelé une civilisation. La vérité pour lui, c’est une grande croyance imagée et normative dont puisse s’alimenter une époque, une table de valeurs dont elle puisse faire sa loi. Cette loi vaut ce que valent les hommes qui la font. Les hommes sont donc sans doute la mesure des choses. Mais quels hommes ? Nietzsche répond : les grands hommes seuls. Eux seuls sont les maîtres, non seulement de l’action, comme la foule le voit bien, mais de la pensée : car ils plongent plus profondément dans cette lumière commune où l’on distingue le vrai, c’est-à-dire ce qui vaut. Eux seuls veillent, tandis que le vulgaire poursuit ses songes inconsistants dans son sommeil.


III. — La philosophie personnelle de Nietzsche.


Il subsiste alors un dernier problème. Si, pour Nietzsche, le vrai réside dans les normes qui régissent la civilisation, que penser des normes qu’il nous propose ? S’il y a une maîtrise de l’âme, une grandeur intellectuelle, morale ou artiste, comment juge-t-il qu’elle soit faite ? Quel accord imaginer entre ces âmes d’élite et la civilisation dont elles ont la charge ?

Le problème se pose, si l’on admet que le moyen âge est clos. Or les penseurs les plus hauts de l’ère moderne ont cru que le moyen âge continuait. Le moyen âge a eu son élite féodale et ecclésiastique, incontestée alors. Toute autorité temporelle relevait de l’autorité spirituelle, qui la sanctionnait. Il a eu son unité de culture et sa philosophie