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qui l’exprimait. L’argument ontologique atteignait d’emblée la réalité de Dieu. De l’idée du parfait à son existence, la transition est immédiate. La pensée se soude à l’être et le reproduit dans une idée qui lui ressemble. Au monde terrestre se superpose un monde surnaturel dont l’existence, démontrable à l’esprit, se manifeste en outre à la sensibilité par les visions des initiés ou par des miracles constatables au vulgaire.

D’étranges survivances de cet âge encombrent encore l’ère moderne. Le glacier des croyances médiévales, en se retirant sur les cimes, laisse derrière lui des moraines. L’ontologie reste l’idéal que poursuit le rêve nostalgique des philosophes. Chez les plus grands. Descartes, Spinoza, Leibnitz, la preuve de saint Anselme traîne son existence hâve. On a pu démontrer que dans Kant lui-même des a présuppositions ontologiques survivent à la révolution critique »[1]. Elles se sont fortifiées après lui, pour des raisons de fait, puisque tout le xixe siècle, jusqu’en 1848, se résume en une tentative de restaurer un moyen âge artificiel et un faux ancien Régime, en un effort pour donner la consécration de l’esprit théocratique aux autorités séculières. Ces efforts attardés ne peuvent faire illusion. La science moderne les a ruinés par avance. Elle a installé l’homme dans un monde terrestre qu’il ne peut plus quitter. Elle l’y a installé d’autant plus définitivement, qu’elle dispose de méthodes qui le détachent de toute préoccupation personnelle et lui permettent de se regarder comme du haut des astres. La spontanéité créa-

  1. V. Delbos, La philosophie pratique de Kant, 1905, p. 202 sq. — L. Brunschvicg, L’orientation du rationalisme. (Revue de Métaph., juillet-septembre 1920, p. 279.) V. même dans O. Hamelin, Les éléments principaux de la représentation, p. 450 : « Notre dialectique synthétique est, dans son ensemble une sorte de preuve ontologique. Elle établit que l’Être, c’est l’Esprit, et l’Esprit en tant que conscience. »