Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/377

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Si, entre ces trois philosophies, Nietzsche s’abstient de choisir, il cherche pourtant à en faire un composé dont le dosage varie : c’est-à-dire que, les acceptant, il les évalue. Il prend d’elles le droit métaphysique de créer un grand algorithme qui unifie toute la connaissance multiple, un grand langage imagé qui traduise, entre les formes du réel, à la fois des similitudes et une hiérarchie. Ce langage, nous l’avons décrit. Il reste peut-être à l’apprécier.

Nietzsche avait appris de Schopenhauer et des Présocratiques le secret du langage métaphysique : Il s’agit de créer une grande métaphore anthropomorphique qui soit vraie de tous les êtres. C’est donc que notre philosophie dépend de l’idée que nous nous faisons de l’homme. Nous croyons qu’une philosophie est destinée à nous faire comprendre l’univers. Elle n’a pour objet que de promouvoir l’humanité supérieure en nous montrant comment les énergies universelles sont d’avance orientées vers l’esprit humain. La croyance où Nietzsche veut attacher toute sa pensée est personnaliste. Schopenhauer, parti de Fichte et luttant contre Hegel, observe combien l’homme serait vide s’il n’était qu’intelligence. Et, sentant en lui ce fougueux tempérament sensuel, dont son intelligence n’était que l’outil de bataille, il ne trouvait l’apaisement que dans la jouissance des idées belles. Il en avait conclu que le fond de l’homme est un vouloir-vivre qui s’apaise quand il contemple, et qui s’exaspère quand il réfléchit. Mais connaître le fond d’un seul être, n’est-ce pas connaître le fond de tous les êtres ? C’est du moins la croyance sans laquelle il n’est pas de métaphysique. Cette étoffe de vouloir, dont les êtres sont faits, leur est donc commune ; et ce qui découpe dans cette étoffe les individus, c’est uniquement la représentation. Ou plutôt, Schopenhauer noue les individus entre eux par un rhizome souterrain ;