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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/54

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l’esprit hellénique, il arrive à Nietzsche de le dire dès sa période wagnérienne[1], est d’avoir su arrêter sur le seuil de l’Europe, pendant quelques siècles, ce fumeux mysticisme, immigré de l’Orient. Mais si ce Dionysos lacéré est le précurseur du Christ, combien Nietzsche, son adepte, n’est-il pas lui-même chrétien ?

Il est difficile de savoir ce qui fut l’opinion vraie de Nietzsche, au temps où il publiait son livre rempli d’enseignements retentissants et d’arrière-pensées silencieuses. Probablement, comme dans ce qu’il écrivait sur Schopenhauer et Wagner, nous avons ici l’indice d’une pensée qui évolue, et la tragédie à de rares instants a pu lui paraître un boulevard contre le mysticisme au service de la libre-pensée, un socratisme musical non dégénéré.

La théorie de la tragédie athénienne, si chargée qu’elle soit de réminiscences, est le coup de maître du jeune génie de Nietzsche. Elle part des faits historiquement attestés. Elle constate qu’il a fallu la rencontre de trois conditions pour faire une tragédie grecque : 1o Un chœur dionysiaque, 2o un public capable de s’émouvoir de cette musique chorale ; 3o une mythologie de dieux et de héros, eu l’honneur de qui l’on pût célébrer les fêtes d’un mystère religieux.


Bien qu’il se soit méfié du sophisme que lui faisaient faire ses devanciers, et qu’il l’ait nettement discerné, Nietzsche l’a pourtant repris de leurs mains, par respect pour leur autorité : Il a voulu faire sortir la tragédie du dithyrambe, et de quel dithyrambe ? Du chant des foules accourues aux fêtes du Dionysos rustique.

Il le lui fallait bien, pour démontrer que tout le pu-

  1. Die Tragödie und die Freigeister, § 111. (W., IX, 123.)