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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/68

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dans une œuvre d’art étrangère à l’enthousiasme religieux.

La doctrine implicite que nous enseigne la tragédie d’Euripide, c’est qu’il y a une relation entre l’art et le savoir. Or nous ne pouvons jusqu’ici la définir. Et si d’ici à ce que soit découverte cette relation, la science domine l’art périra. La tragédie ancienne était issue de la musique. Elle périt quand se retira d’elle, par le triomphe du socratisme, le divin esprit musical,

Euripide n’a-t-il pas eu, comme Socrate, son remords tardif ? Il est sans doute significatif que ce soit lui qui, au terme de l’évolution tragique, écrive les Bacchantes, où il revient explicitement à ce motif des Dionysies, demeuré le thème latent de toute tragédie[1]. N’est-ce pas un aveu au sujet de l’impossibilité de sa tentative ? Il a peut-être voulu confesser qu’on ne peut écrire une tragédie avec du savoir. Le plus impassible raisonneur est donc, à son heure, saisi du vertige divin, et y laisse sa vie, comme Penthée déchiré par le cortège orgiaque. Par malheur, au moment où Euripide se ravise, déjà sa tentative a porté ses fruits. Il est né de lui un art nouveau, où brillent la sagesse des petites gens, le dialogue subtil, la finesse psychologique habile à nuancer délicatement les mouvements de l’âme et à individualiser les caractères ; mais c’est un art qui ne ressemble pas à la tragédie. Les poètes qui révèrent en Euripide leur maître, ce sont les poètes de la Comédie moyenne. Ainsi mourut la tragédie antique.

  1. Jules Girard, op. cit., au chapitre sur les Tragédies dionysiaques, p. 393, avait déjà dit : « On ne peut assurément chercher [dans les Bacchantes d’Euripide] une image exacte des premiers drames qui avaient mis sur la scène les aventures du dieu de la vigne et des mystères. Toutefois l’esprit chercheur d’Euripide aimait à innover par l’exploration du passé… C’est d’ailleurs une des évolutions de l’art de retourner à certains. moments vers ses débuts… »