Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 8.djvu/327

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Mon cher Lys,

Le Président d’Haïti, atteint depuis dimanche dernier d’une fièvre ordinaire, est dans ce moment à presque toute extrémité, sa maladie ayant commencé hier au soir seulement à prendre un caractère sérieux. Nous sommes dans une situation bien douloureuse et bien pénible ; mais, quels que soient mes chagrins et mes alarmes sur l’état du Père de la Patrie, le sentiment de mon devoir m’a donné la force de m’occuper des affaires militaires et de prendre les mesures que la prudence m’a dictées, pour mettre cette frontière à l’abri de toute tentative de l’ennemi. Votre présence ici m’est indispensable, mon cher ami, et je vous invite à ne point tarder à venir en la capitale. Le Président parle encore, pour nous prêcher l’union et la concorde, [1] et c’est répandre dans son âme navrée un baume consolateur, que de lui jurer de faire abnégation de tout sentiment particulier, pour ne voir que la patrie et notre postérité. Il paraît essentiel que les généraux commandans d’arrondissement restent à leurs postes, au moins jusqu’à ce que des mesures de sûreté générale y rendent leur présence moins nécessaire. Ce sont des avis que l’amitié et le désir du bien public dictent.

Je vous attendrai avec impatience, mon cher ami ; en attendant, recevez l’assurance de mon bien sincère dévouement.

  Votre ami, Signé : Boyer.

Dans la journée du jeudi 26, il paraît que Pétion lui-même ne se faisait pas illusion sur la gravité de sa maladie ; et, acceptant son sort avec cette résignation de l’homme juste dont la conscience se sent irréprochable ; se préparant à paraître devant le juge suprême qui pèse avec équité les actions des plus humbles mortels et celles des potentats les plus superbes ; lui qui n’avait gouverné son

  1. S’il est vrai qu’il prêcha l’union et la concorde à ceux qui l’entouraient, et « qu’il expira avec ce calme de l’âme qui caractérise l’homme irréprochable, » comme l’a dit je journal, c’est une preuve qu’il ne se suicida pas, mais qu’il se résigna à son sort, à l’effet de la maladie. Un chef qui se laisse mourir volontairement ne se préoccupe pas de l’union de ses concitoyens, ne meurt pas avec ce calme religieux et philosophique.