Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/282

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exprès, ou sinon, alléguer au moins un motif, Par exemple, en s’exprimant soit de la manière suivante : « Il faut aimer, non pas comme on le dit[1], mais comme si l’on devait aimer toujours ; car l’autre façon est d’un traître ; » soit de cette manière-ci : « Je ne goûte pas le précepte connu, car le véritable ami doit aimer comme s’il devait aimer toujours ; » ni cet autre : « Rien de trop, car on doit vouer aux méchants une haine extrême ».

XV. Les sentences offrent une grande ressource dans les discours, laquelle tient uniquement à la vanité des auditeurs. En effet, ceux-ci se complaisent à voir l’orateur, en énonçant une généralité, rencontrer telles opinions qu’ils ont, eux, sur un point particulier. Je vais expliquer mon dire et, tout ensemble, le moyen de se procurer des sentences. La sentence, comme on l’a dit plus haut[2], est une affirmation générale. Or on se complaît à entendre dire d’une façon générale ce que l’on se trouvait déjà penser d’avance à propos d’un fait particulier : qu’on se trouve, par exemple, avoir un voisin méchant ou de méchants enfants, on sera de l’avis de la personne qui viendra dire. « Rien de plus délicat que le voisinage ; » ou bien : « Rien de plus malavisé que d’avoir des enfants. » Il faut donc viser à rencontrer juste la condition où se trouvent les auditeurs et la direction préalable de leurs pensées, puis énoncer des généralités qui s’y rapportent.

XVI. Telle doit être une première application de la sentence, mais il y en a une autre plus importante, car elle donne un caractère moral au discours. Le caractère moral se révèle dans les discours où l’intention de l’orateur se manifeste ; or, toute sentence

  1. C’est-à-dire comme si l’on devait haïr un jour.
  2. § 2.