Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/329

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leur d’azur) la surface de la mer. Toutes ces expressions, en leur qualité de mots composés, appartiennent à la langue poétique.

II. Voilà donc une première cause de froideur ; il en est une autre qui consiste dans l’emploi des termes étranges. C’est ainsi que Lycophron appelait Xerxès un homme-colosse, et Scipion un homme-fléau. Alcidamas fait de la poésie « un amusement » ; il parle de l’ἀτασθαλία (la folie cruelle) de la nature, et d’un homme « aiguillonné par la fureur effrénée de la pensée ».

III. Une troisième cause réside dans les épithètes lorsqu’elles sont tirées de loin, placées mal à propos ou trop rapprochées. Ainsi, en poésie, l’on dira très bien « un lait blanc… » ; mais, dans le langage de la prose, les épithètes, ou sont hors de mise, ou, si elles font pléonasme, trahissent l’art et rendent manifeste la présence de la poésie. Ce n’est pas qu’on ne doive en faire quelque usage, car elle change le terme habituel et donne au style une physionomie étrangère ; seulement il faut atteindre la juste mesure, car, sans cela, le mal produit serait encore plus grand que si l’on parlait sans art. Dans le premier cas, l’élocution n’est pas bonne, mais dans le second elle est mauvaise. C’est ce qui fait paraître froides les expressions qu’emploie Alcidamas. Car ce n’est pas l’assaisonnement, mais l’aliment de son style, que ces épithètes multipliées, exagérées, brillantes à l’excès. Ainsi, au lieu de dire « la sueur », il dira « la sueur humide » ; il ne dira pas « aux jeux isthmiques », mais « à la solennité des jeux isthmiques » ; ni « les lois », mais « les lois, reines des cités »[1] ; ni « dans la course », mais « dans l’entraînement de l’âme qui nous fait courir » ; ni

  1. Expression de Pindare citée par Platon (Gorgias 484 B. et Banquet, 196 C).