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Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/100

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Stimulé par un succès, il s’excite et se grise. Une fois démoralisé, tout est perdu.

Effrayant et lamentable spectacle ! On ne voit dans de pareils moments que le côté le plus sombre de la nature humaine. L’homme devient un fauve. Dans ce courant qui passe, malheur à celui qui tombe ; il est foulé aux pieds sans pitié et ne se relève plus. S’il est rejeté dans le fossé qui borde la route, c’est que son cadavre gêne la marche et entrave la fuite. Quand le cri fatal de « Trahison ! Sauve qui peut ! » vient à retentir, l’égoïsme se fait jour dans toute sa brutalité ; chacun ne pense qu’à échapper au danger. Malheur aux faibles ! Le fort emploie sa force à briser les obstacles qui l’arrêtent. La raison s’égare. L’effroi se propage comme une traînée de poudre ; le plus vaillant, le cœur le mieux trempé devient lâche ; rien n’est contagieux comme la folie de la peur. Docile alors aux plus funestes impressions, une masse affolée, ce qui peut-être était hier une belle et courageuse armée, fuit en désordre comme le lièvre devant la meute, n’ayant qu’une idée, que dis-je ? n’obéissant qu’à un instinct, fuir à tout prix du danger qui la suit.

Déjà l’affolement était tel à Sedan même que, la veille, le bruit s’était répandu tout à coup que les Prussiens tentaient une surprise sur la ville. Ils la savaient mal gardée, disait-on, et ils étaient déjà à l’une des portes qu’on appelle la porte de Paris. On crie aux armes, le tocsin sonne à toute volée, la population se cache. Les soldats qui se trouvent dans la place saisissent leurs fusils et courent aux remparts et à la porte menacée. On ne voit rien, on s’informe et l’on acquiert bientôt la certitude que l’alerte a été donnée par un commandant de place et un capitaine de gendarmerie qui, faisant une reconnaissance en