Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/112

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d’approche. Un jour un officier la lui avait empruntée, l’avait gaiement passée en sautoir et la lui avait rendue le soir cassée, hors d’usage. Un autre de nos camarades, jeune peintre de mérite et de cœur, en avait une, mais il était entré à Sedan, où il se fit tuer aux remparts. C’étaient les seules que j’eusse vues dans le bataillon.

Les Allemands nous ont aperçus depuis longtemps, mais, méprisant notre petit nombre, ils ne se donnent pas la peine de s’occuper de nous. Au moment cependant d’accentuer leur marche en avant, il veulent savoir au juste à quoi s’en tenir sur notre compte, et un peloton de cuirassiers s’avance au petit pas pour nous reconnaître et s’informer si nous étions disposés à nous rendre. Ils sont à deux cents mètres et nos discussions continuent toujours.

Le turco se démène et crie de plus en plus fort : « Ce sont des cuirassiers blancs, je les ai vus à Reichshoffen. » – « Silence ! disait le commandant, ne tirez pas, ne vous exposez pas à tirer sur vos frères. » Fatigué de cette incertitude, un des nôtres se lève, met la crosse de son fusil en l’air et s’avance vers le peloton. De très loin on lui tire un coup de pistolet et il revient. Nous n’étions pas plus avancés.

Alors un capitaine fait cinquante pas en avant, et, d’une voix ferme et nette : « Êtes-vous Allemands ou Français ? » Nous entendons distinctement la réponse : « Deutsch. » C’était bien en effet à des Allemands que nous avions affaire. Nous avions en face de nous la droite de la première division de la garde prussienne, qui, venue de Pouru-aux-Bois, se dirigeait vers Givonne, tandis que la seconde division, partie de Pouru-Saint-Rémy, marchait sur Daigny. Arrivés au bois Chevalier, situé à moitié chemin entre la Chapelle