Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/114

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projectile était tombé à quelques centimètres seulement du petit mur qui entourait la fosse.

Je jette en ce moment un rapide regard autour de moi. Tous ces vieux troupiers sont superbes ; la fièvre du combat les a saisis. Calmes en apparence, mais pleins d’une activité fébrile, l’œil enflammé, les narines largement ouvertes, les lèvres serrées, ils chargent, épaulent, tirent, sans perdre une seconde, et n’ouvrent la bouche que pour lancer quelque brocard soldatesque qui n’est pas sans doute d’un goût très délicat, mais qui, sans les détourner de leur affaire, entretient leur gaieté et leur courage.

Un peu en avant de nous, je vois deux petites chèvres blanches attachées au même piquet ; le mouvement insolite qui se faisait autour d’elles et le bruit lointain du canon les avaient bien un peu effarouchées, mais, au moment où la lutte s’est engagée près d’elles, elles ont été prises d’une terreur folle dont rien ne peut donner une idée, et je les vois se livrer à des gambades et à des bonds prodigieux pour briser leurs liens, sans pouvoir y parvenir, Je ne vous dirai pas ce qu’elles sont devenues, nous avions d’autres préoccupations, et mon attention ne s’arrêta pas longtemps sur les pauvres bêtes ni sur mes voisins. Un coup d’œil m’avait suffi pour voir tout cela et je revins bien vite aux Prussiens.

La situation devenait grave, Secondée par l’artillerie, l’infanterie prussienne s’ébranle et se rapproche de nous. Je dois avouer que j’ai éprouvé en ce moment un profond sentiment d’admiration pour la discipline prussienne. Sous un feu meurtrier, le régiment s’avance lentement, régulièrement, comme à la parade, tirant au commandement, serrant les rangs avec précision quand nos balles y font des vides.