Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/115

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À 150 mètres environ du village le régiment s’arrête. Les deux premiers rangs se jettent ventre à terre. Ils tiraient à volonté, lentement, presque à coup sûr, visant toujours avec soin. Le reste du régiment se contente de faire un feu extrêmement vif sans tenter d’approcher ; les soldats n’épaulaient pas et tiraient trop haut heureusement. Nous ne comprenions pas leur inaction. Dans une position semblable, des Français se seraient rués, baïonnette en avant, sur le village ; les Allemands attendaient, calmes, impassibles, immobiles, et cependant notre feu plongeant et assuré les décimait avec une régularité effrayante.

Nous avons bientôt la clef de l’énigme. Un second régiment, masqué par un petit bois, s’avançait sur notre extrême gauche, opérant un mouvement pour nous tourner et nous mettre dans un sac. Nous étions déjà pris de trois côtés dans une sorte de fer à cheval ; si le mouvement réussissait, nous étions perdus. Je sentis, je dois l’avouer, un frisson me passer dans le dos. Les Prussiens, à ce moment, ne reconnaissaient pas les francs-tireurs comme belligérants ; autant de pris, autant de fusillés. La mort dans le combat, très bien : j’étais fait à cette idée, elle ne m’effrayait pas ; mais être tué après le combat, tué de sang-froid comme un criminel qu’on exécute, sans lutte ! cela me paraissait épouvantable.

Si grande cependant est encore la confiance d’un certain nombre d’entre nous qu’en apercevant ce régiment le doute s’élève dans quelques cœurs. On s’écrie autour de moi : « Des chasseurs de Vincennes ; il faut nous faire reconnaître. » C’était facile à dire, mais à faire ? Nous n’avions pas de drapeau. Le soldat français heureusement ne s’embarrasse pas pour si peu,