Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/116

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et, dans cette circonstance, les plus grands débrouillards du monde ne faillirent pas à leur réputation. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, sous un feu d’enfer, au milieu de plaisanteries incessantes, on improvise ce drapeau qui doit mettre immédiatement un terme à une erreur fatale et faire cesser en même temps les effroyables décharges de boîte à balles que nous envoie l’artillerie et le feu d’infanterie qui nous décime. Une ceinture rouge, un mouchoir, une cravate bleue font l’affaire. En un tour de main, avec la lucidité d’esprit et le sang-froid que le vieux soldat conserve sous le feu, on les attache ensemble au bout d’une gaule. Nous avons un drapeau. Un brave saisit l’étendard tricolore, grimpe dans la plus haute maison du village, mairie et école à la fois, où était installée notre ambulance, et se met à agiter de toutes ses forces le drapeau improvisé.

Vous dire l’effroyable grêle de projectiles qui nous arriva à ce moment serait impossible. Les Prussiens avaient pris notre démonstration pour une bravade, pour un acte insensé de désespoir et d’audace. Les couleurs nationales déployées par une poignée d’hommes réduits déjà de moitié en face d’une division entière leur semblent une sanglante insulte. Ils attendaient le drapeau parlementaire ; exaspérés par le drapeau tricolore, comme le taureau par les bandelettes rouges, ils reprennent ou plutôt continuent leur feu avec une fureur et une intensité inouïes.

Mais si ce drapeau improvisé avait doublé l’ardeur de l’attaque, il centupla l’énergie de la défense. Oui, ces trois lambeaux d’étoffe réunis et flottant au-dessus de nos têtes au bout d’un bâton firent sur nous un prodigieux effet. Ils surexcitèrent en nous le sentiment de l’honneur et du devoir ; ils nous rappelèrent