Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/119

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On ne peut pas laisser le camarade là, » s’écrie un vieux zouave, et il le prend par un bras ; un autre le saisit d’un autre côté ; ils le soutiennent et l’entraînent un instant, mais il s’alourdissait, un caillot de sang noir se formait sur ses lèvres ; au bout de vingt pas il tombe. « C’est un homme mort, dit le zouave, filons, » et nous reprenons notre course. Nous atteignons heureusement la lisière de la forêt et nous nous dissimulons derrière des troncs d’arbres et quelques arbustes ! attendant ceux des camarades qui, barricadés dans les maisons, les disputaient encore une à une à l’ennemi et dont quelques-uns parvenaient à s’échapper par les jardins et à nous rejoindre.

Enfin le bruit de la fusillade s’éteignit, les Prussiens étaient maîtres du village. Aucun des nôtres n’arrivant plus, nous nous comptâmes : nous étions quatre-vingt-sept. Ce fut alors pour la première fois que j’eus peur en regardant autour de moi et en voyant combien il en manquait à l’appel ; heureusement mon ami était là ; nous nous embrassons en songeant aux vieux parents et en bénissant Dieu. Deux ou trois camarades, auxquels je montre mon képi traversé par une balle, me serrent la main.

Je l’avais échappé belle. Le projectile avait passé à quelques millimètres au-dessus. Il avait frappé l’un de nous.

C’était un tout jeune homme, dont je crois revoir la figure imberbe et timide. Me voyant agenouillé au premier rang, il s’était placé derrière moi et sa tête s’élevait un peu au-dessus de la mienne. Après avoir traversé mon képi, la balle le frappa au milieu du front. Il se redressa comme un ressort qui se détend, puis il retomba ; il était mort.

Mézières

Cependant il est temps de partir. Les chefs tiennent