Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/120

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conseil. Ignorant la tournure que prenait à cette heure la fatale bataille de Sedan, ils désiraient regagner Mézières et rejoindre l’armée, qui devait, pensaient-ils, opérer un mouvement de retraite sur cette ville. Un paysan de la Chapelle leur propose de nous y conduire par les bois. Son offre est acceptée. Il était environ neuf heures du matin ; le temps était superbe, le soleil radieux. Nous nous mettons en marche. Nous suivons de petits sentiers, à peine frayés ; parfois même nous entrons sous bois dans les futaies de cette magnifique forêt. Nous marchions en file indienne, le fusil chargé sur l’épaule, silencieux, le cœur serré, l’âme émue, écoutant avec tristesse l’effroyable concert que faisaient sur notre gauche le grondement sourd du canon, le grincement sinistre et saccadé de la mitrailleuse et le pétillement des feux d’infanterie. Au bout d’une heure, nous arrivons sur la lisière de la forêt, près d’une batterie que nous entendions tonner avec rage et que nous croyions française. Les Français, nous le savions, étaient là le matin. Cependant, par excès de prudence, au moment de déboucher du bois, deux hommes sont envoyés pour reconnaître. Ils reviennent en courant. La batterie était prussienne et des forces ennemies considérables étaient à deux pas de nous. Nous rentrons sous bois pour faire un nouveau détour. Au bout d’un instant nous nous engageons dans une ravissante vallée pleine de fraîcheur, d’ombre et de paix. Au fond un joli ruisseau coulait sur un lit de cailloux que les arbres de la forêt recouvraient d’un berceau de verdure ; quelques rochers, arrêtant son cours, lui faisaient, de temps en temps, faire de charmantes petites cascades. La délicieuse vallée ! Je me rappelai mes voyages en Suisse. Étrange rapprochement ! J’y étais en 1866, et ce fut