Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/121

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dans la riante et belle vallée de l’Aar que j’appris Sadowa.

Il y avait à peine un moment que nous revenions sur nos pas quand nous rencontrâmes un sous-officier qui nous demanda quelques paquets de cartouches, que nous lui donnâmes. C’était un vieux sergent. Sur sa poitrine brillaient de nombreuses médailles. Sa belle figure bronzée, la coupe de sa barbe et de ses cheveux grisonnants, son attitude martiale, tout annonçait un vétéran blanchi sous le harnais.

« Que voulez-vous faire ? lui demanda un de nos chefs, l’ennemi est près d’ici ; vous ne pouvez rejoindre de ce côté aucune troupe française, la bataille est perdue, restez avec vous. Où voulez-vous aller ? »

Le vieux sergent se redressa, promena lentement sur nous ses regards perçants et, après un instant de silence : « Je vais me faire tuer, » dit-il en jetant son fusil sur son épaule.

Le ton dont ces mots furent dits n’admettait pas de réplique. On sentait là une détermination inflexible. Nul ne le suivit, mais nos rangs s’ouvrirent ; chacun se découvrit et s’écarta avec respect pour laisser passer ce héros ignoré qui allait mourir.

Certes bien des défaillances, disons le mot, bien des lâchetés, ont attristé nos cœurs dans cette funeste guerre de 1870, mais aussi que de traits d’héroïsme sont restés dans l’ombre, oubliés ou inconnus, Salut à vous ! soldat généreux, qui n’avez pas voulu survivre au désastre de la patrie, bon et fidèle serviteur qui êtes mort en combattant pour elle. Que je voudrais savoir le nom de cet homme et pouvoir le faire connaître à la France entière ! Il est digne de passer à la postérité.

En remontant le cours du ruisseau, nous rencontrons des soldats atteints par le feu qui viennent y