Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/16

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laissait facilement deviner un officier supérieur, s’approcha de nous et nous demanda si nous savions quelque chose. « La guerre est déclarée, lui répondit mon ami. – Déclarée ! reprit l’officier, que je vis pâlir ; la guerre déclarée ! Quelle folie ! quelle folie ! » et il nous quitta brusquement en répétant machinalement : « Ils ont déclaré la guerre, quelle folie ! »

Je ne pus m’empêcher de le regarder avec une sorte de stupéfaction. À ce moment, je ne voyais, je l’avoue, et certes je n’étais pas le seul, rien d’insensé dans cette déclaration de guerre. L’événement ne me paraissait même de nature à surprendre personne.

La Prusse nous avait poussés à bout ; elle nous avait maintes fois cherché querelle, et nous ne sommes pas de ceux qui se font longtemps prier pour prendre les armes. D’ailleurs, depuis la bataille de Sadowa, qui avait donné à la Prusse une situation prépondérante en Europe, tout le monde sentait d’instinct qu’une lutte était inévitable entre nous et cette nation jeune, conquérante, ambitieuse, dont tous les enfants ont voué à la France, depuis Iéna, une haine qui ne s’éteindra jamais.

Et cependant, malgré cette inquiétude sourde qui régnait dans tous les esprits, les sphères officielles étaient plongées dans la sécurité la plus absolue. C’est en vain que les avertissements venaient de tous côtés à l’Empereur. C’est en vain que le lieutenant-colonel Stoffel, attaché militaire à notre ambassade de Berlin, lui envoyait les rapports les plus instructifs, les plus précis et les plus inquiétants sur les préparatifs de la Prusse. Ces rapports étaient transmis simplement au maréchal Lebœuf, et le ministre de la guerre, qui se croyait et bientôt n’hésitera pas à se dire publiquement prêt, « cinq fois prêt », faisait classer ces documents