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donnait, le 15, dans la nuit, l’ordre de mobilisation.

Grâce à la prodigieuse activité déployée par les bureaux de la guerre, l’armée française fut prête la première. Le 20 juillet, il y avait 120 000 hommes à la frontière ; le 23, 180 000. On pouvait alors marcher en avant ; il n’y avait dans les provinces rhénanes que 60 000 hommes. On aurait pu pousser jusqu’au Rhin, faire sauter les ponts, détruire les chemins de fer et désorganiser les services de concentration de l’armée allemande.

On n’y pensa même pas. L’armée française était dans un état de désordre épouvantable [1]. Les vivres,

  1. Il serait facile de montrer, par des citations multipliées empruntées aux rapports et aux dépêches du temps, l’état de désarroi de l’armée. Je me bornerai à donner le texte d’une seule dépêche qui, je dois le dire, m’a toujours paru extraordinaire entre toutes. Dans une pièce bouffe elle aurait un prodigieux succès de fou rire. Quand on pense qu’elle a été envoyée en France au début d’une guerre dont la gravité exceptionnelle n’échappait à personne, on sent la rougeur vous monter au front et la colère vous envahir.
    Voici celle dépêche :

    Général Michel à Guerre. Paris.
    Belfort, le 21 juillet l870, 8 h. 55 du matin.

    « Suis arrivé à Belfort ; pas trouvé ma brigade, pas trouvé général de division. Que dois-je faire ? Sais pas où sont mes régiments. »

    Sais pas où sont mes régiments ! Voilà un général qu’on envoie à l’ennemi et auquel il ne manque qu’une chose, les troupes qu’il doit commander. En vérité, on croit rêver en lisant de telles choses, et la pensée se reporte involontairement au temps où l’on chantait sur Soubise, après la funeste bataille de Rosbach, le couplet si connu :

    « Soubise dit, la lanterne à la main :
    J’ai beau chercher, où diable est mon armée ?
    Elle était pourtant là hier matin.
    Me l’a-t-on prise, ou l’aurais-je égarée ?
    Ah ! je perds tout, je suis un étourdi ;
    Mais attendons au grand jour à midi.
    Que vois-je, ô ciel ! que mon âme est ravie !
    Prodige heureux ! La voilà ! La voilà !
    Ah ! ventrebleu  : qu’est-ce donc que cela ?
    Je me trompais, c’est l’armée ennemie. »