Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/51

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ne pas manger du tout ; croyez-nous, restez tranquille ou faites votre devoir dans la garde nationale. »

J’étais désolé. « Mais j’ai bien fait l’année dernière un voyage en Suisse, à pied, sept ou huit lieues par jour, le sac des touristes au dos. Je suis plus solide que je n’en ai l’air. Prenez-moi toujours, nous verrons bien. »

Je dois reconnaître que les médecins jugeaient mieux que moi de ma force de résistance. Je ne me rendais aucun compte des fatigues, des privations que nous aurions à subir et de l’extrême rigueur du service auquel nous allions être immédiatement astreints.

On me fit encore plusieurs objections. Je n’avais pas servi, on ne voulait que d’anciens militaires. J’étais employé de l’État, je n’avais pas d’autorisation de mes chefs. Mais mon parti était pris ; je m’obstinai, j’eus réponse à tout et, pour se débarrasser de moi, on finit par m’accepter.

J’étais engagé.

Engagé ! que de sombres tristesses dans ce mot, quand la guerre, une guerre terrible à, laquelle vous allez immédiatement prendre part, a lieu près de vous. Comme le cœur se déchire quand il faut tout abandonner, son avenir, son foyer, ses amis, sa famille ; quand la mère se jette en pleurant dans vos bras ; quand le père vous dit d’un air résolu en vous serrant la main : « C’est bien, mon fils, » vous quitte brusquement, et qu’on l’entend, un instant après, sangloter dans sa chambre ; quand on les voit, ces pauvres vieux qui n’ont que vous pour réjouir leur vieillesse, qui ont mis en vous toutes leurs espérances, tout leur amour, leur vie tout entière, quand on les entend pleurer, gémir et prier. Oui, il faut que l’amour