Aller au contenu

Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la patrie soit un sentiment bien ardent et bien fort pour que tous ces hommes s’arrachent au foyer domestique et aux saintes joies de la famille, et que, sans murmurer, joyeux même, ils s’en aillent à l’abattoir, bouchers ou victimes.

J’étais donc engagé, mais j’avoue que j’éprouvai un serrement de cœur quand je me vis seul au milieu de visages inconnus. On l’a dit et c’est vrai, c’est quelquefois au milieu de la foule que se trouve l’isolement le plus complet. Cette impression est affreuse. Voir les autres se parler et se tendre la main ; voir les amis se promettre aide et assistance et se sentir seul ; se dire que, dans quelques jours peut-être, on tombera sur un champ de bataille et qu’on ne rencontrera autour de soi que des visages indifférents, qu’il n’y aura pas auprès de vos lèvres une oreille amie à qui l’on puisse confier le dernier adieu pour ceux qu’on aime, la dernière recommandation, la dernière prière ! non, il n’est pas bon à l’homme d’être seul.

Sous l’empire de cette préoccupation, je me rendis chez un ami, M. Charles Bertinot, un bon et noble cœur à qui je fis part de ma détermination et à qui j’expliquai les motifs qui l’avaient dictée : « C’est bien, me dit-il, mais il ne faut pas faire cela seul. Viens donc me voir demain. » Le lendemain il était engagé.

Costume des francs-tireurs

Pensez à votre meilleur ami et dites-moi ce que vous auriez éprouvé à ma place. Je n’avais jamais jusqu’alors apprécié, comme je l’ai fait depuis, les douceurs de l’amitié et les nombreuses qualités de mon compagnon d’armes. Nous avons enduré les mêmes fatigues et bravé les mêmes dangers, nous avons souffert ensemble, nous avons ensemble regardé la mort en