Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/71

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toutes les troupes du maréchal de Mac-Mahon. Le défilé fut long. Commencé à trois heures du matin, il durait encore à une heure de l’après-midi. Régiments, de cavalerie, d’infanterie, d’artillerie, mitrailleuses, canons, caissons, fourgons, tout passait devant nous comme les tableaux éphémères d’une apparition fantasmagorique. « Dieu du ciel ! s’écrie une bonne femme à côté de moi, d’où cela sort-il donc ? Y en a-t-il, y en a-t-il ! Et dire qu’il y a des gens qui prétendent qu’il n’y a plus de soldats en France ! »

Si quelqu’un alors nous eût prédit le désastre de Sedan, il eût joué le rôle de Cassandre. Certes, un œil exercé entrevoyait déjà la défaite ; mais qui donc eût pu croire que ces beaux régiments, ce matériel immense, que tout, sans exception, serait, quelques jours après, entre les mains des Prussiens et que cette armée, prise tout entière d’un seul coup de filet, donnerait au monde le spectacle le plus incroyable et le plus douloureux ?

Entre onze heures et midi nous vîmes s’avancer un petit coupé qui suivait la file. Un encombrement s’étant produit, le coupé s’arrêta juste devant nous et quelqu’un avança la tête pour voir ce qui se passait. C’était l’Empereur. Il jeta sur nous un regard indifférent et se rejeta dans la voiture.

Lorsque tout fut passé, nous prîmes les armes. Au lieu de suivre l’armée, nous retournâmes en arrière, nous traversâmes Rethel et nous fîmes une marche de flanc qui ne nous ramena sur le corps du maréchal de Mac-Machon qu’à la tombée du jour. Ce fut là notre première marche un peu longue avec armes et bagages. Armes et bagages, c’est bientôt dit, mais quelle somme de souffrances est contenue dans ces deux mots ! Le sac avec son contenu, le pain, la batterie de cuisine en fer-blanc, légère, mais volumineuse