Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/83

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préoccupés, inquiets. L’indiscipline dans l’armée, l’irrésolution générale des chefs, la présomption, l’incapacité notoire de quelques-uns d’entre eux, leurs rivalités, la démoralisation qui, pour le Français surtout, suit toujours une première défaite, le cataclysme politique qui se préparait et que chacun pressentait, étaient autant de graves sujets d’inquiétudes ; mais si nous eussions pu sonder l’avenir, de quelles angoisses eussent été déchirés ces nobles cœurs ! De ces hommes avec qui nous avons causé ce soir là, les uns se sont fait tuer à Sedan, les autres gardent, saignante encore et toujours ravivée, la blessure que nos désastres leur ont faite au cœur.

Le lendemain dimanche, 28 août, nous étions debout de bonne heure. Le temps était redevenu mauvais, il pleuvait à verse. Réveillés d’abord au milieu de la nuit par une fausse alerte, nous recevons à trois heures et demie l’ordre de nous tenir prêts à partir au premier signal. L’ennemi (c’était le 1er corps d’armée bavarois) était près de nous et ses reconnaissances se montraient de temps en temps. Nous enlevâmes rapidement nos tentes et nous bouclâmes nos sacs, mais nous dûmes attendre de bien longues heures, sous une pluie torrentielle, l’ordre du départ, qui ne vint qu’à quatre heures de l’après-midi. Pas une maison, pas un arbre aux environs pour nous mettre à l’abri, pas de tentes, elles étaient repliées. À terre une boue épaisse ou d’énormes flaques d’eau. Impossible de s’asseoir. Debout, tantôt appuyés sur nos fusils, tantôt faisant quelques pas pour changer de position, nous reçûmes stoïquement l’averse pendant près de douze heures, sans autre nourriture qu’un biscuit et un peu de café à peine tiède, car, malgré tous nos efforts, notre pauvre feu de bois vert, inondé