Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de pluie, menaçait sans cesse de s’éteindre. Vers trois heures nous crûmes la bataille sérieusement engagée. L’artillerie se mit à tonner et on nous fit descendre dans un petit ravin pour nous mettre à l’abri et dissimuler notre présence. Nous étions jusqu’à mi-jambe dans de la terre glaise détrempée. Chaque pas coûtait un effort énorme. Si, à ce moment, on nous avait commandé un mouvement un peu vif, il nous eût été de toute impossibilité de l’exécuter. Au bout d’une heure cependant le feu de l’artillerie se ralentit et s’éteignit complètement. C’était partie remise. Nous nous dirigeâmes alors à travers bois, par des chemins horribles, vers le Chesne-Populeux, beau village qui se trouve auprès de l’un des principaux défilés de l’Argonne. J’y arrivai exténué. On nous fit camper dans un champ de betteraves. Pour la première fois de ma vie j’éprouvai le regret de ne pas aimer la betterave. J’aurais trouvé sous la main une nourriture saine et surtout abondante.

Nous nous chargeons, mon ami et moi, de la corvée de la paille. À cet effet, nous allons au Chesne-Populeux et nous en achetons deux bottes superbes, mais il faut les rapporter au campement. C’est là la difficulté. Le village est littéralement au pillage. Le désordre y est au comble. Un officier se poste, le revolver au poing, à l’entrée de la grande rue et défend de sortir en emportant quoi que ce soit. Nous faisons rapidement demi-tour, nous enfilons une ruelle, nous franchissons des haies, nous escaladons des murs, nous traversons un ruisseau, j’enfonce jusqu’aux genoux dans une mare, cela toujours avec nos deux bottes de paille. Je sens que les forces m’abandonnent, mais à aucun prix je ne lâcherai ma paille. C’est elle qui, étendue dans la tente, nous isolera du sol boueux,