Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/85

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dont l’humidité nous glacerait, c’est elle qui recevra doucement nos membres fatigués, qui nous tiendra chaud, c’est elle qui nous permettra de dormir, c’est elle, en un mot, qui nous sauvera.

Depuis que j’ai été soldat, je plains moins ceux qui couchent sur la paille. En campagne du moins, ceux-là sont les heureux, je vous l’assure.

Nous arrivons enfin et nous sommes bien reçus, quoique nos camarades ne se doutent pas de la somme d’efforts que nous ont coûtés les deux bottes de paille que nous rapportons. Tandis qu’ils l’étendent dans la tente qu’ils ont dressée, mon ami, plus énergique et plus vigoureux que moi, retourne au village, s’abouche, en sa qualité d’homme de loi [1], avec l’huissier du pays, et en obtient, moyennant finance bien entendu, deux bonnes bouteilles de vieux vin. Pendant ce temps les camarades faisaient la popote. Un morceau de viande, un verre de vin, une bonne nuit, et le lendemain je me levai dispos.

Les vieux soldats qui étaient parmi nous supportaient naturellement la fatigue bien mieux que les conscrits. Une des principales raisons était que les recrues se composaient, pour la plupart, de jeunes gens habitués à une vie sédentaire et douce, tandis que nos camarades appartenaient en général à des classes moins aisées et paraissaient habitués à une vie de rudes labeurs ; mais il y avait aussi un autre motif. Le vieux troupier sait le prix de tout. À chaque halte, quand il n’aurait que quelques minutes, il fait un somme ; a-t-il un peu de temps devant lui, vite il allume du feu pour faire du café ou de la soupe, et pour se chauffer s’il fait froid. Boire, manger, dormir, faire provision de

  1. Mon ami, M. Charles Bertinot, est actuellement avoué au tribunal de première instance de la Seine.