Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/86

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forces, les économiser, les emmagasiner, pour ainsi dire, voilà sa grande, sa constante préoccupation. Il sait qu’un jour peut venir où l’on aura des fatigues énormes à supporter, que les vivres peuvent manquer et que, quand on dépense tant de forces, il faut les réparer sans cesse pour tenir la machine en état. La fatigue de la marche, les corvées, le poids du sac, le froid de la nuit, les veilles, la nourriture souvent insuffisante, faisant parfois complètement défaut, voilà quelques-unes des souffrances obscures et sans gloire du soldat. Elles sont plus pénibles à supporter que les fatigues et les dangers d’un jour de bataille.

Nous fîmes ce jour-là, en trois pauses, de cinq heures du matin à sept heures du soir, une marche monotone, pénible. Le pays que nous traversions est magnifique, mais l’état de fatigue dans lequel nous commencions à nous trouver nous empêchait de prendre plaisir à considérer ces beaux points de vue.

Nous campâmes à Raucourt, sur le flanc d’une colline, sur un diable de terrain tellement en pente que nous glissions constamment les uns sur les autres. La nuit était humide et froide et nous n’avions pas de paille. Je ne pus fermer l’œil. Bientôt les camarades renoncent comme moi au sommeil, nous allons chercher du bois et nous allumons un bon feu sur lequel nous faisons la soupe.

Cependant le dénouement s’avance. Nous nous rapprochons de l’ennemi, ou, pour parler plus exactement, l’ennemi se rapproche de nous. Le 30 août, à trois heures du matin, nous quittons Raucourt, et nous venons de très bonne heure prendre position auprès de Remilly, sur les coteaux qui dominent la Meuse. À nos pieds le fleuve, plus loin d’immenses prairies, à droite et à gauche des collines boisées. Une batterie