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Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/88

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Comme je les regardais avec un air de désappointement : « Prends-les, camarade, me dit un vieux troupier, et prends-en le plus que tu pourras. Vois-tu, quand on donne au soldat du pain comme ça, c’est que le lendemain il n’y en aura plus. » Le conseil me parut bon et je le suivis, j’en pris une bonne charge.

Je rapporte mes pains, et, comme je trouve que j’ai fourni mon contingent de corvées, je m’esquive pour en éviter de nouvelles et je profite du voisinage de la Meuse pour faire une toilette complète : c’est si bon quand on couche par terre et qu’on ne change jamais de vêtements ! Après le bain un repas excellent. Un homme de notre escouade avait acheté, en passant dans un village, une oie et un lapin ; on les confia à un vieux troupier, cuisinier habile, répondant au nom polonais de Dombrowski, qui se chargea de les apprêter. Il y ajouta un reste de bœuf, énormément de sel, fit mijoter le tout, nous avions du temps, et nons servit un plat de sa façon que je vous recommande en tout temps, mais surtout quand vous aurez passé six jours sans manger autre chose que du biscuit tout sec ou accompagné d’un morceau de viande à moitié crue ; c’était exquis. Après avoir mangé, j’écrivis deux ou trois lettres, que je portai à la poste à Remilly ; elles sont arrivées un an après.

Vers quatre heures nous sommes brusquement arrachés à notre court loisir ; on nous fait rapidement prendre les armes et on nous dispose en tirailleurs dans les champs qui bordent la route que suivait l’armée. Une sinistre nouvelle se l’épand parmi nous. Un corps d’armée, dit-on, vient d’être surpris et décimé par les Prussiens cachés dans les bois.

Ce n’était que trop vrai. Le 5e corps venait d’éprouver à Beaumont un terrible échec.