Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/11

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CHAPITRE XI. — D’une autre cause qui met de la confusion dans nos pensées et dans nos discours, qui est que nous les attachons à des mots.

» Il faut remarquer que, quoique les hommes aient souvent de différentes idées des mêmes choses, ils se servent néanmoins des mêmes mots pour les exprimer, comme l’idée qu’un philosophe païen a de la vertu n’est pas la même que celle qu’en a un théologien, et néanmoins chacun exprime son idée par le même mot de vertu.

CHAPITRE XII. — Du remède à la confusion qui naît dans nos pensées et dans nos discours de la confusion des mots ; où il est parlé de la nécessité et de l’utilité de définir les noms dont on se sert, et de la différence de la définition des choses d’avec la définition des noms.

» Si je veux prouver que notre âme est immortelle, le mot d’âme étant équivoque, comme nous l’avons montré, fera naître aisément de la confusion dans ce que j’aurai à dire : de sorte que, pour l’éviter, je regarderai le mot d’âme comme si c’était un son qui n’eût point encore de sens, et je l’appliquerai uniquement à ce qui est en nous le principe de la pensée, en disant : J’appelle âme ce qui est en nous le principe de la pensée.

» C’est ce qu’on appelle la définition du mot, definitio nominis, dont les géomètres se servent si utilement, laquelle il faut bien distinguer de la définition de la chose, definitio rei.

» Car dans la définition de la chose, comme peut être celle-ci : L’homme est un animal raisonnable, le temps est la mesure du mouvement, on laisse au terme qu’on définit, comme homme ou temps, son idée ordinaire, dans laquelle on prétend que sont contenues d’autres idées, comme animal raisonnable ou mesure du mouvement ; au lieu que dans la définition du nom, comme nous avons déjà dit, on ne regarde que le son, et ensuite on détermine ce son à être signe d’une idée que l’on désigne par d’autres mots.

CHAPITRE XIII. — Observations importantes touchant la définition des mots.

» Il ne faut pas entreprendre de définir tous les mots, parce que souvent cela serait inutile, et qu’il est même impossible de le faire.

» Tels sont les mots d’être, de pensée, d’étendue, d’égalité, de durée ou de temps, et autres semblables.

» Il ne faut point changer les définitions déjà reçues, quand on n’a point sujet d’y trouver à redire ; comme peut être celle de l’angle et de la proposition dans Euclide.

» Quand on est obligé de définir un mot, on doit, autant que l’on peut, s’accommoder à l’usage, en ne donnant pas aux mots des sens tout à fait éloignés de ceux qu’ils ont.

CHAPITRE XIV. — D’une autre sorte de définitions de noms, par lesquelles on marque ce qu’ils signifient dans l’usage.

» Tout ce que nous avons dit des définitions de noms ne doit s’entendre que de celles où l’on définit les mots dont on se sert en particulier ; et c’est ce qui les rend libres et arbitraires, parce qu’il est permis à chacun de se servir de tel son qui lui plaît pour exprimer ses idées, pourvu qu’il en avertisse. Mais comme les hommes ne sont maîtres que de leur