Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/111

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C’est ce qu’on appelle la définition du mot, definitio nominis, dont les géomètres se servent si utilement, laquelle il faut bien distinguer de la définition de la chose, definitio rei[1].

Car dans la définition de la chose, comme peut être celle-ci : L’homme est un animal raisonnable, le temps est la mesure du mouvement, on laisse au terme qu’on définit, comme homme ou temps, son idée ordinaire, dans laquelle on prétend que sont contenues d’autres idées, comme animal raisonnable ou mesure du mouvement ; au lieu que dans la définition du nom, comme nous avons déjà dit, on ne regarde que le son, et ensuite on détermine ce son à être signe d’une idée que l’on désigne par d’autres mots.

Il faut aussi prendre garde de ne pas confondre la définition de nom dont nous parlons ici avec celle dont parlent quelques philosophes, qui entendent par là l’explication de ce qu’un mot signifie selon l’usage ordinaire d’une langue, ou selon son étymologie : c’est de quoi nous pourrons parler en un autre endroit[2] ; mais ici, on ne regarde, au contraire, que l’usage particulier auquel celui qui définit un mot veut qu’on le prenne pour bien concevoir sa pensée, sans se mettre en peine si les autres le prennent dans le même sens.

Et de là il s’ensuit, premièrement, que les définitions de noms sont arbitraires[3], et que celles des choses ne le sont point ; car chaque son étant indifférent de soi-même et par sa nature à signifier toutes sortes d’idées, il m’est permis, pour mon usage particulier, et pourvu que j’en avertisse les autres, de déterminer un son à signifier précisément une certaine chose, sans mélange d’aucune autre ; mais il en est tout autrement de la définition des choses : car il ne dépend point de la volonté des hommes

  1. Les définitions des géomètres ne sont point seulement des définitions de mots, elles sont des définitions d’idées. Elles ne portent ni sur des mots ni sur des choses réelles, mais sur des conceptions possibles, et il faut que cette possibilité même soit admise ; aussi ne sont-elles pas arbitraires.
  2. Voir les chapitres XIII et XIV de la première partie et les chapitres XV et XVI de la seconde.
  3. Il faut cependant tenir compte de l’usage et du sens ordinaire des mots dans la langue.