Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/113

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et ne doivent pas être supposées, à moins qu’elles ne fussent claires d’elles-mêmes comme des axiomes[1].

Néanmoins ce que je viens de dire, que la définition du nom peut être prise pour principe, a besoin d’explication, car cela n’est vrai qu’à cause que l’on ne doit pas contester que l’idée qu’on a désignée ne puisse être appelée du nom qu’on lui a donné ; mais on n’en doit rien conclure à l’avantage de cette idée, ni croire, pour cela seul qu’on lui a donné un nom, qu’elle signifie quelque chose de réel. Car, par exemple, je puis définir le mot de chimère, en disant : J’appelle chimère ce qui implique contradiction ; et cependant il ne s’ensuivra pas de là que la chimère soit quelque chose. De même, si un philosophe me dit : J’appelle pesanteur le principe intérieur qui fait qu’une pierre tombe sans que rien la pousse, je ne contesterai pas cette définition ; au contraire, je la recevrai volontiers, parce qu’elle me fait entendre ce qu’il veut dire ; mais je lui nierai que ce qu’il entend par ce mot pesanteur soit quelque chose de réel, parce qu’il n’y a point de tel principe dans les pierres.

J’ai voulu expliquer ceci un peu au long, parce qu’il y a deux grands abus qui se commettent sur ce sujet dans la philosophie commune. Le premier est de confondre la définition de la chose avec la définition du nom, et d’attribuer à la première ce qui ne convient qu’à la dernière ; car, ayant fait à leur fantaisie cent définitions, non de nom, mais de chose, qui sont très-fausses, et qui n’expliquent point du tout la vraie nature des choses ni les idées que nous en avons naturellement, ils veulent ensuite que l’on considère ces définitions comme des principes que personne ne peut contredire ; et si quelqu’un les leur nie, comme elles sont très-niables, ils prétendent qu’on ne mérite pas de disputer avec eux.

Le second abus est que, ne se servant presque jamais de définitions de nom, pour en ôter l’obscurité et les fixer à de certaines idées désignées clairement, ils les

  1. Cf. le chapitre IX.