Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/115

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Voilà donc la grande utilité de la définition des noms, de faire comprendre nettement de quoi il s’agit, afin de ne pas disputer inutilement sur des mots, que l’un entend d’une façon, et l’autre de l’autre, comme on fait si souvent, même dans les discours ordinaires.

Mais, outre cette utilité, il y en a encore une autre : c’est qu’on ne peut souvent avoir une idée distincte d’une chose qu’en y employant beaucoup de mots pour la désigner ; or, il serait important, surtout dans les livres de science, de répéter toujours cette grande suite de mots. C’est pourquoi, ayant fait comprendre la chose par tous ces mots, on attache à un seul mot l’idée qu’on a conçue, et ce mot tient lieu de tous les autres. Ainsi, ayant compris qu’il y a des nombres qui sont divisibles en deux également, pour éviter de répéter souvent tous ces termes, on donne un nom à cette propriété, en disant : J’appelle tout nombre qui est divisible en deux également, nombre pair : cela fait voir que toutes les fois qu’on se sert du mot qu’on a défini, il faut substituer mentalement la définition en la place du défini, et avoir cette définition si présente, qu’aussitôt qu’on nomme, par exemple, le nombre pair, on entende précisément que c’est celui qui est divisible en deux également, et que ces deux choses soient tellement jointes et inséparables, dans la pensée, qu’aussitôt que le discours en exprime l’une, l’esprit y attache immédiatement l’autre. Car ceux qui définissent les termes, comme font les géomètres, avec tant de soin, ne le font que pour abréger le discours, que de si fréquentes circonlocutions rendraient ennuyeux. Ne assidue circumloquendo moras faciamus, comme dit saint Augustin ; mais ils ne le font pas pour abréger les idées des choses dont ils discourent, parce qu’ils prétendent que l’esprit suppléera la définition entière aux termes courts, qu’ils n’emploient que pour éviter l’embarras que la multitude des paroles apporterait[1].

  1. Pour compléter ce chapitre, il faut lire les chapitres XV et XVI de la seconde partie, et les chapitres IV et V de la quatrième.