Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sion. On pourrait dire néanmoins qu’il le retient aussi ; car, en disant que Jean répondit, on entend qu’il fit une réponse ; et c’est à cette idée confuse de réponse que se rapporte ce que. De même, quand Cicéron dit : Non tibi objicio quod hominem spoliasti, le quod se rapporte à l’idée confuse de chose objectée, formée par le mot d’objicio ; et cette chose objectée, conçue d’abord confusément, est ensuite particularisée par la proposition incidente, liée par le quod, quod hominem spoliasti.

Je suppose, donne l’idée confuse d’une chose supposée ; car on peut remarquer la même chose dans ces questions : Je suppose que vous serez sage ; je vous dis que vous avez tort ; ce terme, je dis, fait concevoir d’abord confusément une chose dite ; et c’est à cette chose dite que se rapporte le que. Je dis que, c’est-à-dire je dis une chose qui est. Et qui dit de même, je suppose, veut dire je fais une supposition ; et c’est à cette idée de chose supposée que se rapporte le que. Je suppose que, c’est-à-dire, je fais une supposition qui est.

On peut mettre au rang des pronoms l’article grec , , τό, lorsqu’au lieu d’être devant le nom, on le met après : τοῦτό ἐστι τὸ σῶμά μου τὸ ὑπὲρ ὑμῶν διδόμενον, dit saint Luc[1], car ce τό, le, représente à l’esprit le corps, σῶμα, d’une manière confuse ; ainsi il a la fonction de pronom.

Et la seule différence qu’il y a entre l’article employé à cet usage et le pronom relatif, est que, quoique l’article tienne la place du nom, il joint pourtant l’attribut qui le suit au nom qui précède dans une même proposition ; mais le relatif fait, avec l’attribut suivant, une proposition à part, quoique jointe à la première, ὃ δίδοται, quod datur, c’est-à-dire quod est datum.

On peut juger par cet usage de l’article, qu’il y a peu de solidité dans la remarque qui a été faite depuis peu par un ministre[2] sur la manière dont on doit traduire ces paroles de l’Évangile de saint Luc, que nous venons de rapporter, parce que, dans le texte grec, il y a non un pronom relatif, mais un article : C’est mon corps donné pour vous, et non qui est donné pour vous, τὸ ὑπὲρ ὑμῶν διδόμενον, et non ὃ ὐπὲρ ὑμῶν δίδοται ; il prétend que c’est une nécessité absolue, pour exprimer la force de cet article, de traduire ainsi ce texte : Ceci est mon corps ; mon corps donné pour vous, ou le corps donné pour vous ; et que ce n’est pas bien traduire que d’exprimer ce passage en ces termes, ceci est mon corps qui est donné pour vous.

Mais cette prétention n’est fondée que sur ce que cet auteur n’a pénétré qu’imparfaitement la vraie nature du pronom relatif et de l’article ; car il est certain que, comme le pronom relatif, qui, quæ, quod, en tenant la place du nom, ne le représente que d’une manière confuse, de même l’article , , τό ne représente que confusément le nom auquel il se rapporte, de sorte que cette représentation confuse étant proprement destinée à éviter la répétition distincte du même mot qui est

  1. Saint Luc, ch. XXII, 19.
  2. Jean Claude (né en 1619, mort en 1687). Son principal ouvrage est la Réponse au Traité de la perpétuité de la Foi, d’Arnauld.