Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/141

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parons ces idées ensemble ; et trouvant que les unes conviennent entre elles et que les autres ne conviennent pas, nous les lions ou délions, ce qui s’appelle affirmer ou nier, et généralement juger[1].

Ce jugement s’appelle aussi proposition[2], et il est aisé de voir qu’elle doit avoir deux termes : l’un de qui l’on affirme ou de qui l’on nie, lequel on appelle sujet ; et l’autre que l’on affirme ou que l’on nie, lequel s’appelle attribut ou prædicatum.

Et il ne suffit pas de concevoir ces deux termes ; mais il faut que l’esprit les lie ou les sépare : et cette action de notre esprit est marquée dans le discours par le verbe est, ou seul quand nous affirmons, ou avec une particule négative quand nous nions. Ainsi que je dis Dieu est juste, Dieu est le sujet de cette proposition, et juste en est l’attribut ; et le mot est marque l’action de mon esprit qui affirme, c’est-à-dire qui lie ensemble les deux idées de Dieu et de juste comme convenant l’une à l’autre. Que si je dis Dieu n’est pas injuste, est, étant joint avec les particules ne, pas, signifie l’action contraire à celle d’affirmer, savoir : celle de nier par laquelle je regarde ces idées comme répugnantes l’une à l’autre, parce qu’il y a quelque chose d’enfermé dans l’idée d’injuste qui est contraire à ce qui est enfermé dans l’idée de Dieu.

Mais, quoique toute proposition enferme nécessairement ces trois choses, néanmoins, comme l’on a dit dans le chapitre précédent, elle peut n’avoir que deux mots ou même qu’un.

Car les hommes, voulant abréger leurs discours, ont fait une infinité de mots qui signifient tout ensemble l’affirmation, c’est-à-dire ce qui est signifié par le verbe substantif, et de plus un certain attribut qui est affirmé. Tels sont tous les verbes, hors celui qu’on appelle substan-

  1. Cette théorie est aujourd’hui abandonnée. Nous ne commençons pas par avoir des idées nues pour les rassembler ensuite en jugements. Nous percevons et nous jugeons dès le début.
  2. Le jugement ne s’appelle pas proposition, car la proposition n’est que l’expression verbale du jugement.