Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/160

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Celui qui vit dans une entière solitude est une bête ou un ange (dit Aristote)[1].

Les hommes ne se remuent que par l’intérêt ou par la crainte.

La terre tourne autour du soleil, ou le soleil autour de la terre.

Toute action faite avec jugement est bonne ou mauvaise.

La vérité de ces propositions dépend de l’opposition nécessaire des parties, qui ne doivent point souffrir de milieu ; mais, comme il faut qu’elles n’en puissent souffrir du tout pour être nécessairement vraies, il suffit qu’elles n’en souffrent point ordinairement pour être considérées comme moralement vraies. C’est pourquoi il est absolument vrai qu’une action faite avec jugement est bonne ou mauvaise, les théologiens faisant voir qu’il n’y en a point en particulier qui soit indifférente ; mais quand on dit que les hommes ne se remuent que par l’intérêt ou par la crainte, cela n’est pas vrai absolument, puisqu’il y en a quelques-uns qui ne se remuent ni par l’une ni par l’autre de ces passions, mais par la considération de leur devoir ; et ainsi, toute la vérité qui y peut être, est que ce sont les deux ressorts qui remuent la plupart des hommes.

Les propositions contradictoires aux disjonctives sont celles où on nie la vérité de la disjonction ; ce qu’on fait en latin comme en toutes les autres propositions composées, en mettant la négation à la tête : Non omnis actio est bona vel mala ; et en français : Il n’est pas vrai que toute action soit bonne ou mauvaise.


Des conditionnelles.

Les conditionnelles sont celles qui ont deux parties liées par la condition si, dont la première, qui est celle où est la condition, s’appelle l’antécédent, et l’autre le conséquent.

Si l’âme est spirituelle, c’est l’antécédent ; elle est immortelle, c’est le conséquent.

Cette conséquence est quelquefois médiate et quelquefois immédiate ; elle n’est que médiate, quand il n’y a rien dans les termes de l’une et de l’autre partie qui les lie ensemble, comme si je dis :

Si la terre est immobile, le soleil tourne ;

Si Dieu est juste, les méchants seront punis.

Ces conséquences sont fort bonnes ; mais elles ne sont pas immédiates, parce que les deux parties n’ayant pas de terme commun, elles ne se lient que par ce qu’on a dans l’esprit, et qui n’est pas exprimé, que la terre et le soleil se trouvant sans cesse en des situations différentes l’une à l’égard de l’autre, il faut nécessairement que si l’une est immobile, l’autre se remue.

  1. « L’État est dans la nature. La nature a créé l’homme pour vivre en société politique ; celui qui par sa nature n’appartient à aucun État, sans qu’il puisse en accuser la fortune, est, ou plus qu’un homme, ou un être dégradé : on peut lui appliquer le vers d’Homère : Sans famille, sans lois, sans foyer… — Un tel être est indocile au joug comme un oiseau de proie. Il est en guerre avec la nature. » (Politique, liv. Ier, chap. II.)