Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/164

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C’est-à-dire, nous devons aimer Dieu pour lui-même, et n’aimer les autres choses que pour Dieu.

Quas dederis solas semper habebis opes[1].

Les seules richesses qui vous demeureront toujours, seront celles que vous aurez données libéralement.

Nobilitas sola est atque unica virtus[2].

La vertu fait la noblesse, et toute autre chose ne rend point vraiment noble.

Hoc unum scio quod nihil scio, disaient les académiciens[3].

Il est certain qu’il n’y a rien de certain, et il n’y a qu’obscurité et incertitude en toute autre chose.

Lucain, parlant des druides, fait cette proposition disjonctive composée de deux exclusives :

Solis nosse deos, et cœli numina vobis,
Aut solis nescire datum est[4].

Ou vous connaissez les dieux, quoique tous les autres les ignorent ;

Ou vous les ignorez quoique tous les autres les connaissent.

Ces propositions se contredisent en trois manières ; car, 1o on peut nier que ce qui est dit convenir à un seul sujet, lui convienne en aucune sorte.

2o On peut soutenir que cela convient à autre chose.

3o On peut soutenir l’un et l’autre.

Ainsi, contre cette sentence, la seule vertu est la vraie noblesse, on peut dire :

1o Que la seule vertu ne rend point noble.

2o Que la naissance rend noble aussi bien que la vertu.

3o Que la naissance rend noble, et non la vertu.

Ainsi cette maxime des académiciens, que cela est certain qu’il n’y a rien de certain, était contredite différemment par les dogmatiques et par les pyrrhoniens ; car les dogmatiques la combattaient, en soutenant que cela était doublement faux, parce qu’il y avait beaucoup de choses que nous connaissions très-certainement ; et qu’ainsi il n’était point vrai que nous fussions certain de ne rien savoir ; et les pyrrhoniens disaient aussi que cela était faux, par une raison contraire, qui est que tout était tellement incertain, qu’il était même incertain s’il n’y avait rien de certain.

C’est pourquoi il y a un défaut de jugement dans ce que Lucain dit des druides, parce qu’il n’y a pas de nécessité que les seuls druides fussent dans la vérité au regard des dieux, ou qu’eux seuls fussent dans l’erreur ; car, pouvant y avoir diverses erreurs touchant la nature de Dieu, il pouvait fort bien se faire que, quoique les druides eussent des pensées

  1. Ovide, Élégies, v. 43.
  2. Juvénal, Satires, viii, v. 19.
  3. Voir Cicéron, Académiques, i, 4.
  4. Lucain, Pharsale, i, v. 451.