Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/17

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peut être ou peut arriver : ce qui leur fait conclure témérairement ; ou qu’elle n’est pas, parce qu’elle n’est pas d’une certaine manière, quoiqu’elle puisse être d’une autre ; ou qu’elle est de telle ou telle façon, quoiqu’elle puisse être encore d’une autre manière qu’ils n’ont pas considérée.

V. Juger d’une chose par ce qui ne lui convient que par accident.

» Ce sophisme est appelé dans l’école fallacia accidentis, qui est lorsque l’on tire une conclusion absolue, simple et sans restriction de ce qui n’est vrai que par accident. C’est ce que font tant de gens qui déclament contre l’antimoine, parce qu’étant mal appliqué il produit de mauvais effets ; et d’autres qui attribuent à l’éloquence tous les mauvais effets qu’elle produit quand on en abuse ; ou à la médecine, les fautes de quelques médecins ignorants.

VI. Passer du sens divisé au sens composé, ou du sens composé au sens divisé.

» L’un de ces sophismes s’appelle fallacia compositionis, et l’autre fallacia divisionis.

» Jésus-Christ dit dans l’Évangile en parlant de ses miracles : Les aveugles voient, les boiteux marchent droit, les sourds entendent. Cela ne peut être vrai qu’en prenant les choses séparément, et non conjointement, c’est-à-dire dans le sens divisé, et non dans le sens composé.

VII. Passer de ce qui est vrai à quelque égard à ce qui est vrai simplement.

» C’est ce qu’on appelle dans l’école a dicto secundum quid ad dictum simpliciter. Les épicuriens prouvaient encore que les dieux devaient avoir la forme humaine, parce qu’il n’y en a point de plus belle que celle-là, et que tout ce qui est beau doit être en Dieu. C’était mal raisonner : car la forme humaine n’est point absolument une beauté, mais seulement au regard des corps.

VIII. Abuser de l’ambiguïté des mots, ce qui peut se faire en diverses manières.

» On peut rapporter à cette espèce de sophisme tous les syllogismes qui sont vicieux, parce qu’il s’y trouve quatre termes : soit parce que le milieu y est pris deux fois particulièrement ; ou parce qu’il est pris en un sens dans la première proposition, et en un autre sens dans la seconde.

» Ce serait mal raisonner que de dire : l’homme pense ; or, l’homme est composé de corps et d’âme : donc le corps et l’âme pensent.

IX. Tirer une conclusion générale d’une induction défectueuse.

» On appelle induction, lorsque la recherche de plusieurs choses particulières nous mène à la connaissance d’une vérité générale. Ainsi, lorsqu’on a éprouvé sur beaucoup de mers que l’eau en est salée, et sur beaucoup de rivières que l’eau en est douce, on conclut généralement que l’eau de la mer est salée, et celle des rivières douce. Les diverses épreuves qu’on a faites que l’or ne diminue point au feu a fait juger que cela est vrai de tout or : et comme on n’a point trouvé de peuple qui ne parle, on croit pour très-certain que tous les hommes parlent, c’est-à-dire se servent des sons pour signifier leurs pensées.

» Quoi qu’il en soit, les inductions défectueuses, c’est-à-dire qui ne sont pas entières, font souvent tomber en erreur.