Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/174

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Cretenses semper mendaces, malæ bestiæ, ventres pigri[1].

Ou ce que dit le même apôtre :

Omnes quæ sua sint quærunt, non quæ Jesu-Christi[2].

Ou ce que dit Horace :

Omnibus hoc vitium est cantoribus, inter amicos
Ut nunquam inducant animum cantare rogati,
Injussi nunquam desistant[3].

Ou ce qu’on dit d’ordinaire :

Que toutes les femmes aiment à parler ;

Que tous les jeunes gens sont inconstants ;

Que tous les vieillards louent le temps passé.

Il suffit, dans toutes ces sortes de propositions, qu’ordinairement cela soit ainsi, et on ne doit pas aussi en conclure rien à la rigueur.

Car, comme ces propositions ne sont pas tellement générales qu’elles ne souffrent des exceptions, il pourrait se faire que la conclusion serait fausse. Comme on n’aurait pas pu conclure de chaque Crétois en particulier, qu’il aurait été un menteur et une méchante bête, quoique l’Apôtre approuve en général ce vers d’un de leurs poëtes : Les Crétois sont toujours menteurs, méchantes bêtes, grands mangeurs, parce que quelques-uns de cette île pouvaient ne pas avoir les vices qui étaient communs aux autres.

Ainsi la modération qu’on doit garder dans ces propositions qui ne sont que moralement universelles, c’est, d’une part, de n’en tirer qu’avec grand jugement des conclusions particulières, et de l’autre de ne pas les contredire ni ne pas les rejeter comme fausses, quoiqu’on puisse opposer des instances où elles n’ont pas de lieu, mais de se contenter, si on les étendait trop loin, de montrer qu’elles ne doivent pas se prendre à la rigueur.

Observation II. Il y a des propositions qui doivent passer pour métaphysiquement universelles, quoiqu’elles puissent recevoir des exceptions, lorsque dans l’usage ordinaire ces exceptions extraordinaires ne passent point pour devoir être comprises dans ces termes universels, comme si je dis, tous les hommes n’ont que deux bras, cette proposition doit passer pour vraie dans l’usage ordinaire ; et ce serait chicaner que d’opposer qu’il y a eu des monstres qui n’ont pas cessé d’être hommes, quoiqu’ils eussent quatre bras, parce qu’on voit assez qu’on ne parle pas des monstres dans ces propositions générales, et qu’on veut dire seulement que, dans l’ordre de la nature, les hommes n’ont que deux bras. On peut dire de même que tous les hommes se servent des sons pour exprimer leurs pensées, mais que tous ne se servent pas de l’écriture : et ce ne serait pas une objection raisonnable que d’opposer les muets pour trouver de la fausseté dans cette proposition, parce qu’on voit assez, sans qu’on l’exprime, que cela ne doit s’entendre que de ceux qui n’ont

  1. Epist. ad Titum, i, 15.
  2. Ibid.
  3. Horace, Épîtres, i, 3.