Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/176

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soldats ; les Hollandais sont bons matelots ; les Flamands sont bons peintres ; les Italiens sont bons comédiens ; cela veut dire que les Français qui sont soldats sont ordinairement bons soldats, et ainsi des autres.

Observation V. Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait point d’autre marque de particularité que ces mots, quidam, aliquis, quelque, et autres semblables ; car, au contraire, il arrive assez rarement que l’on s’en serve, surtout dans notre langue.

Quand la particule des ou de est le pluriel de l’article un, selon la nouvelle remarque de la Grammaire générale[1], elle fait que les noms se prennent particulièrement, au lieu que, pour l’ordinaire, ils se prennent généralement avec l’article les. C’est pourquoi il y a bien de la différence entre ces deux propositions : Les médecins croient maintenant qu’il est bon de boire pendant le chaud de la fièvre ; des médecins croient maintenant que le sang ne se fait pas dans le foie. Car les médecins, dans la première, marque le commun des médecins d’aujourd’hui ; et des médecins, dans la seconde, marque seulement quelques médecins particuliers.

Mais souvent avant des ou de, ou un au singulier, on met il y a, comme il y a des médecins, et cela en deux manières.

La première est, en mettant seulement après des, ou un, un substantif pour être le sujet de la proposition, et un adjectif pour être l’attribut, soit qu’il soit le premier ou le dernier, comme : Il y a des douleurs salutaires ; il y a des plaisirs funestes ; il y a de faux amis ; il y a une humilité généreuse ; il y a des vices couverts de l’apparence de la vertu. C’est comme on exprime dans notre langue ce qu’on exprime par quelque dans le style de l’école : Quelques douleurs sont salutaires, quelque humilité est généreuse, et ainsi des autres.

La seconde manière est de joindre par un qui l’adjectif au substantif : Il y a des craintes qui sont raisonnables. Mais ce qui n’empêche pas que ces propositions ne puissent être simples dans le sens, quoique complexes dans l’expression : car c’est comme si on disait simplement : Quelques craintes sont raisonnables. Ces façons de parler sont encore plus ordinaires que les précédentes : Il y a des hommes qui n’aiment qu’eux-mêmes ; il y a des chrétiens qui sont indignes de ce nom.

On se sert quelquefois en latin d’un mot semblable. Horace :

Sunt quibus in satira videor nimis acer, et ultra[2]
Legem tendere opus.

Ce qui est la même chose que s’il avait dit :

Quidam existimant me nimis acrem esse in satira.

Il y en a qui me croient trop piquant dans la satire.

De même dans l’Écriture : Est qui nequiter se humiliat[3], il y en a qui s’humilient mal.

  1. Voir la Grammaire générale de Port-Royal, IIe partie ; chap. vii.
  2. Horace, Satires, ii, 1.
  3. Ecclesiast., xix, 23.