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CHAPITRE XIV

Des propositions où l’on donne aux signes le nom des choses

Nous avons dit, dans la première partie, que des idées, les unes avaient pour objet des choses, les autres des signes. Or, ces idées de signe attachées à des mots, venant à composer des propositions, il arrive une chose qu’il est important d’examiner en ce lieu, et qui appartient proprement à la logique, c’est qu’on en affirme quelquefois les choses signifiées ; et il s’agit de savoir quand on a droit de le faire, principalement à l’égard des signes d’institution ; car, à l’égard des signes naturels, il n’y a pas de difficulté, parce que le rapport visible qu’il y a entre ces sortes de signes et les choses, marque clairement que quand on affirme du signe la chose signifiée, on veut dire, non que ce signe soit réellement cette chose, mais qu’il l’est en signification et en figure ; et ainsi l’on dira sans préparation et sans façon d’un portrait de César, que c’est César ; et d’une carte d’Italie, que c’est l’Italie.

Il n’est donc besoin d’examiner cette règle qui permet d’affirmer les choses signifiées de leurs signes, qu’à l’égard des signes d’institution qui n’avertissent pas par un rapport visible du sens auquel on entend ces propositions : et c’est ce qui a donné lieu à bien des disputes.

Car il semble à quelques-uns que cela puisse se faire indifféremment, et qu’il suffise pour montrer qu’une proposition est raisonnable en la prenant en un sens de figure et de signe, de dire qu’il est ordinaire de donner au signe le nom de la chose signifiée : et cependant cela n’est pas vrai ; car il y a une infinité de propositions qui seraient extravagantes, si l’on donnait aux signes le nom des choses signifiées ; ce que l’on ne fait jamais, parce qu’elles sont extravagantes. Ainsi un homme qui aurait établi dans son esprit que certaines choses en signifieraient d’autres, serait ridicule, si, sans en avoir averti personne, il prenait la liberté de donner à ces signes de fantaisie le nom de ces choses, et disait, par exemple, qu’une pierre est un cheval, et un âne un roi de Perse, parce qu’il aurait établi ces signes dans son esprit. Ainsi la première règle qu’on doit suivre sur ce sujet, est qu’il n’est pas permis indifféremment de donner aux signes le nom des choses.

La seconde, qui est une suite de la première, est que la seule incompatibilité évidente des termes n’est pas une raison suffisante pour conduire l’esprit au sens de signe, et pour conclure qu’une proposition ne pouvant se prendre proprement, se doit donc expliquer en un sens de signe. Autrement il n’y aurait point de ces propositions qui fussent extravagantes, et plus elles seraient impossibles dans le sens propre, plus on retomberait facilement dans le sens de signe, ce qui n’est pas néan-