Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une statue qui avait la tête d’or, et qu’il lui en avait demandé la signification.

Ainsi, quand on a proposé une parabole, et qu’on vient à l’expliquer, ceux à qui l’on parle, considérant déjà tout ce qui la compose comme des signes, on a droit, dans l’explication de chaque partie, de donner au signe le nom de la chose signifiée.

Ainsi Dieu ayant fait voir au prophète Ézéchiel en vision, in spiritu, un champ plein de morts, et les prophètes distinguant les visions des réalités, et étant accoutumés à les prendre pour des signes, Dieu lui parla fort intelligiblement en lui disant que ces os étaient la maison d’Israël[1] ; c’est-à-dire qu’ils la signifiaient.

Voici les préparations certaines ; et comme on ne voit pas d’autres exemples où l’on convienne que l’on ait donné au signe le nom de la chose signifiée, que ceux où elles se trouvent, on en peut tirer cette maxime de sens commun : que l’on ne donne aux signes le nom des choses, que lorsque l’on a droit de supposer qu’ils sont regardés comme signes, et que l’on voit dans l’esprit des autres qu’ils sont en peine de savoir, non ce qu’ils sont, mais ce qu’ils signifient.

Mais comme la plupart des règles morales ont des exceptions, on pourrait douter s’il n’en faudrait point faire une à celle-ci en un seul cas ; c’est quand la chose signifiée est telle, qu’elle exige en quelque sorte d’être marquée par un signe : de sorte que, sitôt que le nom de cette chose est prononcé, l’esprit conçoit incontinent que le sujet auquel on l’a joint est destiné pour la désigner. Ainsi, comme les alliances sont ordinairement marquées par des signes extérieurs, si l’on affirmait le mot d’alliance de quelque chose extérieure, l’esprit pourrait être porté à concevoir qu’on l’en affirmerait comme de son signe : de sorte que, quand il y aurait dans l’Écriture que la circoncision est l’alliance, peut-être n’y aurait-il rien de surprenant, car l’alliance porte l’idée du signe sur la chose à laquelle elle est jointe : et ainsi, comme celui qui écoute une proposition conçoit l’attribut et les qualités de l’attribut avant qu’il en fasse l’union avec le sujet, on peut supposer que celui qui entend cette proposition, la circoncision est l’alliance, est suffisamment préparé à concevoir que la circoncision n’est alliance qu’en signe, le mot d’alliance lui ayant donné lieu de former cette idée, non avant qu’il soit prononcé, mais avant qu’il fût joint dans son esprit avec le mot de circoncision.

J’ai dit que l’on pourrait croire que les choses qui exigent, par une convenance de raison, d’être marquées par des signes, seraient une exception de la règle établie, qui demande une préparation précédente qui fasse regarder le signe comme signe, afin qu’on en puisse affirmer la chose signifiée, parce que l’on pourrait croire aussi le contraire ; car : 1o cette proposition, la circoncision est l’alliance, n’est point dans l’Écriture, qui porte seulement : Voici l’alliance que vous observerez entre vous, votre postérité et moi : Tout mâle parmi vous sera circoncis[2]. Or, il n’est pas dit dans ces paroles que la circoncision soit l’alliance ; mais la cir-

  1. Ézéchiel, xxxvii.
  2. Genèse, xvii, 10.