Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/182

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concision y est commandée comme condition de l’alliance. Il est vrai que Dieu exigeait cette condition, afin que la circoncision fût signe de l’alliance, comme il est porté dans le verset suivant : Ut sint in signum fœderis ; mais afin qu’elle fût signe, il en fallait commander l’observation, et la faire condition de l’alliance, et c’est ce qui est contenu dans le verset précédent.

2o Ces paroles de saint Luc : Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang[1], que l’on allègue aussi, ont encore moins d’évidence pour confirmer cette exception. Car, en traduisant littéralement, il y a dans saint Luc : Ce calice est le nouveau testament en mon sang. Or, comme le mot de testament ne signifie pas seulement la dernière volonté du testateur, mais encore plus proprement l’instrument qui la marque, il n’y a point de figure à appeler le calice du sang de Jésus-Christ testament, puisque c’est proprement la marque, le gage et le signe de la dernière volonté de Jésus-Christ, l’instrument de la nouvelle alliance.

Quoi qu’il en soit, cette exception étant douteuse d’une part, et étant très-rare de l’autre, et y ayant très-peu de choses qui exigent d’elles-mêmes d’être marquées par des signes, elles n’empêchent pas l’usage de l’application de la règle à l’égard de toutes les autres choses qui n’ont pas cette qualité, et que les hommes n’ont point accoutumé de marquer par des signes d’institution. Car il faut se souvenir de ce principe d’équité, que la plupart des règles ayant des exceptions, elles ne laissent pas d’avoir leur force dans les choses qui ne sont point comprises dans l’exception.

C’est par ces principes qu’il faut décider cette importante question, si l’on peut donner à ces paroles, ceci est mon corps, le sens de figure ; ou plutôt, c’est par ces principes que toute la terre l’a décidée, toutes les nations du monde s’étant portées naturellement à les prendre au sens de réalité, et à en exclure le sens de figure ; car les apôtres ne regardant pas le pain comme un signe, et n’étant point en peine de ce qu’il signifiait, Jésus-Christ n’aurait pu donner aux signes le nom des choses, sans parler contre l’usage de tous les hommes, et sans les tromper : ils pouvaient peut-être regarder ce qui se faisait comme quelque chose de grand ; mais cela ne suffit pas.

Je n’ai plus rien à remarquer sur le sujet des signes, auxquels l’on donne le nom des choses, sinon qu’il faut extrêmement distinguer entre les expressions où l’on se sert du nom de la chose pour marquer le signe, comme quand on appelle un tableau d’Alexandre du nom d’Alexandre, et celles dans lesquelles le signe étant marqué par son nom propre, ou par un pronom, on en affirme la chose signifiée ; car cette règle, qu’il faut que l’esprit de ceux à qui on parle regarde déjà le signe comme signe, et soit en peine de savoir de quoi il est signe, ne s’entend nullement du premier genre d’expressions, mais seulement du second, où l’on affirme expressément du signe de la chose signifiée ; car on ne se sert de ces expressions que pour apprendre à ceux à qui l’on parle ce que signifie

  1. Saint Luc, xxii, 20.