Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/190

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fournit n’est-elle pas cent fois plus claire que celle-là ? et à qui servit-elle jamais pour expliquer aucune des propriétés du mouvement[1] ?

Les quatre célèbres définitions de ces quatre premières qualités, le sec, l’humide, le chaud, le froid, ne sont pas meilleures.

Le sec, dit-il, est ce qui est facilement retenu dans ses bornes, et difficilement dans celles d’un autre corps : Quod suo termino facile continetur, difficulter alieno[2].

Et l’humide, au contraire, ce qui est facilement retenu dans les bornes d’un autre corps, et difficilement dans les siennes : Quod suo termino difficulter continetur, facile alieno.

Mais premièrement ces deux définitions conviennent mieux aux corps durs et aux corps liquides qu’aux corps secs et aux corps humides ; car on dit qu’un air est sec et qu’un autre air est humide, quoiqu’il soit toujours facilement retenu dans les bornes d’un autre corps, parce qu’il est toujours liquide ; et de plus, on ne voit pas comment Aristote a pu dire que le feu, c’est-à-dire la flamme, était sèche selon cette définition, puisqu’elle s’accommode facilement aux bornes d’un autre corps ; d’où vient aussi que Virgile appelle le feu liquide : Et liquidi simul ignis[3]. Et c’est une vaine subtilité de dire avec Campanelle[4], que le feu étant enfermé, aut rumpit, aut rumpitur ; car ce n’est point à cause de sa prétendue sécheresse, mais parce que sa propre fumée l’étouffe, s’il n’a de l’air. C’est pourquoi il s’accommodera fort bien aux bornes d’un autre corps, pourvu qu’il ait quelque ouverture par où il puisse chasser ce qui s’en exhale sans cesse.

Pour le chaud, il le définit, ce qui rassemble les corps semblables et désunit les dissemblables : Quod congregat homogenea et disgregat heterogenea.

Et le froid, ce qui rassemble les corps dissemblables et désunit les semblables : Quod congregat heterogenea et disgregat homogenea[5]. C’est ce qui convient quelquefois au chaud et au froid, mais non pas toujours, et ce qui de plus ne sert de rien à nous faire entendre la vraie cause qui fait que nous appelons un corps chaud et un autre froid ; de sorte que le chancelier Bacon avait raison de dire que ces définitions étaient sem-

    fondes. Elle s’applique non au mouvement proprement dit, mais au changement, au devenir : elle veut dire que le changement est un passage de la puissance à l’acte. — Voir, dans notre Histoire de la philosophie, le chapitre consacré à Aristote.

  1. Leibnitz, Nouveaux Essais, III, iv. « La définition d’Aristote, n’est pas si absurde qu’on pense, faute d’entendre que le mot grec κίνησις chez lui ne signifiait pas ce que nous appelons mouvement, mais ce que nous exprimerions par le mot changement, d’où vient qu’il lui donne une définition si abstraite et si métaphysique ; au lieu que ce que nous appelons mouvement est appelé chez lui φορά, latio, et se trouve entre les espèces du changement (τῆς κινήσεως). »
  2. De Generatione, i, 2.
  3. Églogues, vi.
  4. Thomas Campanella. De Sensu rerum, iii.
  5. Aristote, De Generatione, i, 2.