Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/224

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comment on peut les réduire aux syllogismes incomplexes dont nous avons parlé jusqu’ici pour en juger par les mêmes règles ;

Et nous ferons voir, en second lieu, que l’on peut donner des règles plus générales pour juger tout d’un coup de la bonté ou du vice de ces syllogismes complexes, sans avoir besoin d’aucune réduction.

C’est une chose assez étrange que, quoique l’on fasse peut-être beaucoup plus d’état de la logique qu’on ne devrait, jusqu’à soutenir qu’elle est absolument nécessaire pour acquérir les sciences, on la traite néanmoins avec si peu de soin, que l’on ne dit presque rien de ce qui peut avoir quelque usage ; car on se contente d’ordinaire de donner des règles des syllogismes simples, et presque tous les exemples qu’on en apporte sont composés de propositions incomplexes, qui sont si claires, que personne ne s’est jamais avisé de les proposer sérieusement dans aucun discours ; car, à qui a-t-on jamais ouï faire ces syllogismes : Tout homme est animal ; Pierre est homme : donc Pierre est animal.

Mais on se met peu en peine d’appliquer les règles des syllogismes aux arguments dont les propositions sont complexes, quoique cela soit souvent assez difficile, et qu’il y ait plusieurs arguments de cette nature qui paraissent mauvais, et qui sont néanmoins fort bons ; et que d’ailleurs l’usage de ces sortes d’arguments soit beaucoup plus fréquent que celui des syllogismes entièrement simples. C’est ce qu’il sera plus aisé de faire voir par des exemples que par des règles.

Exemple I. Nous avons dit, par exemple, que toutes les propositions composées de verbes actifs sont complexes en quelque manière ; et de ces propositions on en fait souvent des arguments dont la forme et la force sont difficiles à reconnaître, comme celui-ci que nous avons déjà proposé en exemple :

La loi divine commande d’honorer les rois ;

Louis XIV est roi :

Donc la loi divine commande d’honorer Louis XIV.

Quelques personnes peu intelligentes ont accusé ces sortes de syllogismes d’être défectueux, parce que, disaient-elles, ils sont composés de pures affirmatives dans la deuxième figure, ce qui est un défaut essentiel ; mais ces personnes ont bien montré qu’elles consultaient plus la lettre et l’écorce des règles, que non pas la lumière de la raison, par laquelle ces règles ont été trouvées : car cet argument est tellement vrai et concluant, que s’il était contre la règle, ce serait une preuve que la règle serait fausse, et non pas que l’argument fût mauvais.

Je dis donc, premièrement, que cet argument est bon ; car dans cette proposition, la loi divine commande d’honorer les rois, ce mot de rois est pris généralement pour tous les rois en particulier, et par conséquent Louis XIV est du nombre de ceux que la loi divine commande d’honorer.