Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/237

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plaidait pour lui, se justifie par cet argument du reproche que lui faisait Caton, d’agir, dans cette défense, contre sa loi : Etenim si largitionem factam esse confiterer, idque recte factum esse defenderem, facerem improbe, etiamsi alius legem tulisset ; quum vero nihil commissum contra legem esse defendam, quid est quod meam defensionem latio legis impediat ? Il semble que cet argument soit semblable à celui d’un blasphémateur, qui dirait pour s’excuser : Si je niais qu’il y eût un Dieu, je serais un méchant ; mais quoique je blasphème, je ne nie pas qu’il y ait un Dieu : donc je ne suis pas un méchant. Cet argument ne vaudrait rien, parce qu’il y a d’autres crimes que l’athéisme qui rendent un homme méchant ; mais ce qui fait que celui de Cicéron est bon, quoique Ramus l’ait proposé pour exemple d’un mauvais raisonnement, c’est qu’il enferme dans le sens une partie exclusive, et qu’il faut le réduire à ces termes :

Ce serait alors seulement qu’on pourrait me reprocher avec raison d’agir contre ma loi, si j’avouais que Muréna eût acheté les suffrages, et que je ne laissasse pas de justifier son action ;

Mais je prétends qu’il n’a point acheté les suffrages :

Et par conséquent je ne fais rien contre ma loi.

Il faut dire la même chose de ce raisonnement de Vénus dans Virgile, en parlant à Jupiter :

Si sine pace tua atque invito numine Troes
Italiam petiere, luant peccata, neque illos
Juveris auxilio : sin tot responsa secuti,
Quæ superi manesque dabant, cur nunc tua quisquam
Flectere jussa potest, aut cur nova condere fata[1] ?

car ce raisonnement se réduit à ces termes :

Si les Troyens étaient venus en Italie contre le gré des dieux, ils seraient punissables ;

Mais ils n’y sont pas venus contre le gré des dieux :

Donc ils ne sont pas punissables.

Il faut donc y suppléer quelque chose ; autrement il serait semblable à celui-ci, qui certainement ne conclut pas :

Si Judas était entré dans l’apostolat sans vocation, il aurait dû être rejeté de Dieu ;

Mais il n’y est pas entré sans vocation :

Donc il n’a pas dû être rejeté de Dieu.

Mais ce qui fait que celui de Vénus, dans Virgile, n’est pas vicieux, c’est qu’il faut considérer la majeure comme étant exclusive dans le sens, de même que s’il y avait :

Ce serait alors seulement que les Troyens seraient punissables et indignes du secours des dieux, s’ils étaient venus en Italie contre leur gré :

Donc, etc.

Ou bien il faut dire, ce qui est la même chose, que l’affirmative, si sine pace tua, etc., enferme dans le sens cette négative :

  1. Énéide, I. XI, v. 32 et sqq.