Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/238

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Si les Troyens ne sont venus dans l’Italie que par l’ordre des dieux, il n’est pas juste que les dieux les abandonnent ;

Or, ils n’y sont venus que par l’ordre des dieux :

Donc, etc.


Des syllogismes disjonctifs.


On appelle syllogismes disjonctifs ceux dont la première proposition est disjonctive, c’est-à-dire dont les parties sont jointes par vel, ou, comme celui-ci de Cicéron :

Ceux qui ont tué César sont parricides ou défenseurs de la liberté ;

Or, ils ne sont points parricides :

Donc ils sont défenseurs de la liberté.

Il y en a de deux sortes : la première, quand on ôte une partie pour garder l’autre ; comme dans celui que nous venons de proposer, ou dans celui-ci :

Tous les méchants doivent être punis en ce monde ou en l’autre ;

Or, il y a des méchants qui ne sont point punis en ce monde ;

Donc ils le seront en l’autre.

Il y a quelquefois trois membres dans cette sorte de syllogismes, et alors on en ôte deux pour en garder un, comme dans cet argument de saint Augustin, dans son livre du Mensonge, chap. viii.

Aut non est credendum bonis, aut credendum est cis quos credimus debere aliquando mentiri, aut non est credendum bonos aliquando mentiri. Horum primum perniciosum est ; secundum stultum : restat ergo ut nunquam mentiantur boni.

La seconde sorte, mais moins naturelle, est quand on prend une des parties pour ôter l’autre, comme si l’on disait :

Saint Bernard[1], témoignant que Dieu avait confirmé par des miracles sa prédication de la croisade, était un saint ou un imposteur ;

Or, c’était un saint :

Donc ce n’était pas un imposteur.

Ces syllogismes disjonctifs ne sont guère faux que par la fausseté de la majeure, dans laquelle la division n’est pas exacte, se trouvant un milieu entre les membres opposés, comme si je disais :

Il faut obéir aux princes en ce qu’ils commandent contre la loi de Dieu, ou se révolter contre eux :

Or, il ne faut pas leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu :

Donc il faut se révolter contre eux :

Ou : Or, il ne faut pas se révolter contre eux :

Donc il faut leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu.

L’un et l’autre raisonnement est faux, parce qu’il y a un milieu dans cette disjonction qui a été observé par les premiers chrétiens, qui est de souffrir patiemment toutes choses, plutôt que de rien faire contre la loi de Dieu, sans néanmoins se révolter contre les princes.

  1. Saint Bernard, fondateur de l’abbaye de Clairvaux, adversaire d’Abélard, naquit près de Dijon en 1091 et mourut en 1153.