Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/240

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la lune réfléchisse la lumière de toutes parts, il faut avouer que ce n’est point un corps poli, mais raboteux.

Ou bien en liant une des propositions par la particule causale, parce que, ou puisque, comme :

Si tout vrai ami doit être prêt à donner sa vie pour son ami,

Il n’y a guère de vrais amis ;

Puisqu’il n’y en a guère qui le soient jusqu’à ce point.

Cette manière de raisonner est très-commune et très-belle, et c’est ce qui fait qu’il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait de raisonnement que lorsqu’on voit trois propositions séparées et arrangées comme dans l’école ; car il est certain que cette seule proposition comprend ce syllogisme entier :

Tout vrai ami doit être prêt à donner sa vie pour des amis ;

Or, il n’y a guère de gens qui soient prêts à donner leur vie pour leurs amis :

Donc il n’y a guère de vrais amis.

Toute la différence qu’il y a entre les syllogismes absolus et ceux dont la conclusion est enfermée avec l’une des prémisses dans une proposition conditionnelle, est que les premiers ne peuvent être accordés tout entiers, que nous ne demeurions d’accord de ce qu’on aurait voulu nous persuader ; au lieu que dans les derniers on peut accorder tout, sans que celui qui les fait ait encore rien gagné, parce qu’il lui reste à prouver que la condition d’où dépend la conséquence qu’on lui a accordée est véritable.

Et ainsi ces arguments ne sont proprement que des préparations à une conclusion absolue ; mais ils sont aussi très-propres à cela, et il faut avouer que ces manières de raisonner sont très-ordinaires et très-naturelles, et qu’elles ont cet avantage, qu’étant plus éloignées de l’air de l’école, elles en sont mieux reçues dans le monde.

On peut conclure de cette sorte en toutes les figures et en tous les modes, et ainsi, il n’y a point d’autres règles à y observer que les règles mêmes des figures.

Il faut seulement remarquer que la conclusion conditionnelle comprenant toujours l’une des prémisses outre la conclusion, c’est quelquefois la majeure, et quelquefois la mineure.

C’est ce qu’on verra par les exemples de plusieurs conclusions conditionnelles qu’on peut tirer de deux maximes générales, l’une affirmative et l’autre négative ; soit l’affirmative, ou déjà prouvée, ou accordée :

Tout sentiment de douleur est une pensée.

On en conclut affirmativement :

1. Donc, si toutes les bêtes sentent de la douleur,

Toutes les bêtes pensent. Barbara.

2. Donc, si quelque plante sent de la douleur,

Quelque plante pense. Darii.

3. Donc, si toute pensée est une action de l’esprit,

Tout sentiment de douleur est une action de l’esprit. Barbara.