Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/246

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vie ; 2o de l’impuissance de Dieu, qui n’avait pas le pouvoir de les en garantir ; 3o de l’injustice de Dieu, qui les asservirait sans sujet ; 4o du péché originel. Or, il est impie de dire qu’elle vienne des trois premières causes ; elle ne peut donc venir que de la quatrième, qui est le péché originel[1].

La mineure, que les enfants sont misérables, se prouverait par le dénombrement de leurs misères.

Mais il est aisé de voir combien saint Augustin a proposé cette preuve du péché originel avec plus de grâce et de force, en la renfermant dans un argument composé en cette sorte.

« Considérez la multitude et la grandeur des maux qui accablent les enfants, et combien les premières années de leur vie sont remplies de vanité, de souffrances, d’illusions, de frayeurs ; ensuite, lorsqu’ils sont devenus grands, et qu’ils commencent même à servir Dieu, l’erreur les tente pour les séduire, le travail et la douleur les tentent pour les affaiblir, la concupiscence les tente pour les enflammer, la tristesse les tente pour les abattre, l’orgueil les tente pour les élever ; et qui pourrait représenter, en peu de paroles, tant de diverses peines qui appesantissent le joug des enfants d’Adam ? L’évidence de ces misères a forcé les philosophes païens, qui ne savaient et ne croyaient rien du péché de notre premier père, de dire que nous n’étions nés que pour souffrir les châtiments que nous avions mérités par quelques crimes commis en une autre vie que celle-ci, et qu’ainsi nos âmes avaient été attachées à des corps corruptibles, par le même genre de supplice que des tyrans de Toscane faisaient souffrir à ceux qu’ils attachaient tout vivants avec des corps morts. Mais cette opinion, que les âmes sont jointes à des corps en punition des fautes précédentes d’une autre vie, est rejetée par l’Apôtre. Que reste-t-il donc, sinon que la cause de ces maux effroyables soit ou l’injustice ou l’im-

  1. L’argumentation d’Arnauld est d’ailleurs peu concluante, car elle pourrait s’appliquer aux animaux ; quelque animal a-t-il autrefois mangé, comme disait Malebranche, du foin défendu ?